La Gazette - N° 16 - 2018- 1er trim
Le billet du trimestre
Quelle chance …. !
Oui, quelle chance ont les habitants du 6ème arrondissement ! Ils n'ont que quelques pas à faire, en sortant de chez eux, pour plonger dans le bain de l'histoire de France.
Passage du Commerce, la grosse tour de l'enceinte de Philippe Auguste, visible à travers la vitrine d'un magasin, rappelle que la sécurité des Parisiens, déjà, nécessitait des mesures de protection efficaces. Le quai et la rue des Grands-Augustins, la rue de l'Abbaye, ou même ma minuscule rue des Chartreux, par leur nom, réveillent le souvenir des grands monastères qui, des siècles durant, animèrent la vie religieuse, et parfois politique, du Paris de l'Ancien Régime. Devant le palais du Luxembourg on croit voir glisser les ombres de Marie de Médicis ou de Richelieu s'affrontant lors de la Journée des dupes, suivies des bruits de bottes de Bonaparte ou de la claudication d'un Talleyrand s'affairant à faire voter au printemps 1814 la déchéance de son empereur. Longe-t-on la Seine, et c'est Mazarin qu'on aperçoit inspecter les travaux du Collège des Quatre-Nations. Plus près de nous, un monument nous renvoie la mince silhouette du capitaine Dreyfus dégradé dans la cour de la prison militaire du Cherche-Midi après sa condamnation par le conseil de guerre logé de l'autre côté de la rue, et c'est toute l'agitation de la fin du XIXe siècle qui parvient jusqu'à nous. En face ou presque, la façade majestueuse de l'hôtel Lutetia fait resurgir les pages noires de l'Occupation et de la déportation.
Lieux encore, l'histoire imprègne tellement nos rues, dont beaucoup étaient déjà tracées au Moyen Âge, que chacun, au gré de ses lectures ou de ses souvenirs ou de ses promenades, peut revivre à sa manière le passé si riche de notre pays, de notre cité, voire de notre quartier.
En bref ...
La Société historique du VIe arrondissement à l’ère du numérique. Pour faire écho à la journée d’études organisée en décembre dernier par le CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques), nous vous donnons des nouvelles de notre nouveau site, www.sh6e.com dont la réalisation a occupé un groupe de travail ces derniers mois et qui demande désormais un investissement collectif et durable. C’est notre défi et notre ambition : informer des activités de la Sh6, donner envie aux tiers de la rejoindre, mettre en valeur son patrimoine et ses collections. Vous pouvez nous aider !.
Notre société il y a cent ans …
Après la maladie puis le décès de son président fondateur, Félix Herbet, les travaux de la Société reprirent sous la présidence de Léo Mouton, ancien vice-président : le vendredi 4 janvier 1918, le secrétaire général, Charles Saunier, fit une communication sur le peintre lyonnais, Philippe Hennequin, élève du grand David, bien établi dans le 6e arrondissement. Pendant la Révolution, il habita rue du Pot-de-Fer (le tronçon de notre rue Bonaparte proche de notre mairie) et eut un temps son atelier au couvent des Carmes, avant de s'installer sous l'Empire boulevard du Montparnasse, puis rue de Fleurus. Il était déjà bien oublié.
Le 1er février, se tint une nouvelle réunion où Henri Laschett, héritier d'une famille de fabricant de pianos et membre de la société, présenta, avant d'en faire don, une série de documents intéressant l'arrondissement.
Le 1er mars c'est à nouveau au tour de Charles Saunier de présenter un ouvrage édité en relatant, grâce aux archives de la police politique, des affaires dont il donna les extraits relatifs au 6e arrondissement : ainsi un prêtre réfractaire, l'abbé Lafond, demeurant rue de l'Hirondelle (près de la place Saint-Michel) qui, pour subsister, pratiquait la vente de tableaux.
À cette époque, nos sociétaires avaient le loisir de fréquenter bibliothèques, librairies et archives, et de présenter leurs découvertes lors des réunions mensuelles, sans compter qu’ils en faisaient parfois don. Ils ont ainsi largement contribué à enrichir le fonds documentaire de notre Société.
Notre arrondissement, il y a ….
… cent cinquante ans, « Dans Paris la neige » par Émile Zola
…« La ville noire sommeille, la neige se met à tomber avec lenteur dans la sérénité glacée de l'espace. Et le ciel couvre sans bruit l'immense cité en dormie d'un tapis virginal et pur. […] Le 2 janvier, lorsque Paris s'est éveillé, il a vu que, pendant la nuit, la nouvelle année avait mis une robe blanche à la ville. La ville semblait toute jeune et toute chaste. […] Mais quand la neige est venue, pendant la nuit, tendre sans bruit son épais tapis sur la terre, on pousse une légère exclamation de joie et de surprise. Toutes les laideurs de l'hiver s'en sont allées; chaque maison ressemble à une belle dame qui aurait mis ses fourrures; les toits se détachent gaiement sur le ciel pâle et clair; on est en pleine floraison du froid. Depuis hier, Paris éprouve cette gaieté que la neige donne aux petits et aux grands enfants. On est tout bêtement joyeux, parce que la terre est blanche.
[…] Je viens de traverser le jardin du Luxembourg, et je n'en ai reconnu ni les arbres ni le parterre. Ah! que sont loin les verdures moirées d'or par les clartés, jaunes et rouges du couchant ! Je me suis cru dans un cimetière. Chaque plate-bande ressemble au marbre colossal d'un tombeau; les arbustes font çà et là des croix noires. Les marronniers des quinconces sont d'immenses lustres en verre filé. Le travail est exquis; chaque petite branche est ornée de fins cristaux ; des broderies délicates couvrent l'écorce brune. On n'oserait toucher à ces verreries légères, on aurait peur de les casser.
[…] J'ai vu, au carrefour de l'Observatoire, un groupe d'enfants grelottants et ravis. Ils étaient trois : deux garçons d'une douzaine d'années, portant le costume napolitain, et une fillette de huit ans, halée par les soleils de Naples. Ils avaient posé sur un tas de neige leurs instruments, deux harpes et un violon. Les deux garçons se battaient à coups de boules de neige, en laissant échapper des rires aigus. La fillette, accroupie, plongeait avec ravissement ses mains bleuies dans la blancheur du sol. […]. Oiseaux passagers des rues, [ces enfants] venaient, des contrées brûlantes et âpres, ils oubliaient la faim en jouant avec les blanches floraisons de l'hiver.
[…] Mais la cité ne garde pas longtemps sa belle robe blanche. Sa toilette d'épousée n'est jamais qu'un déjeuner de soleil. […] L'air devient plus doux, la neige bleuit, de minces filets d'eau coulent le long des murs, et alors le dégel commence, l'affreux dégel qui emplit les rues de boue. » (Extraits d’un article paru dans Le Figaro du 17 janvier 1867).
… deux cents ans... Le 3 février 1818 le tribunal prononçait le jugement de séparation entre le général Léopold Hugo et son épouse Sophie Trébuchet. Cet événement d'ordre privé n'aurait a priori rien pour retenir l'attention de l'historien si à ce moment-là leurs deux fils, Eugène et Victor, n'avaient été depuis l'automne 1814, par la volonté de leur père, pensionnaires dans l'austère établissement des sieurs Cordier et Decotte, rue Sainte-Marguerite, au chevet de l'église Saint-Germain-des-Prés. Cette vieille rue aujourd'hui disparue suivait le tracé de notre boulevard Saint-Germain, dont les immeubles du côté impair entre les rues de Rennes et des Saints-Pères sont toujours debout (Brasserie Lipp). La vie y étaient dure pour ces collégiens qui à partir de 1816 suivaient l'essentiel de leurs études au lycée Louis-le-Grand et rimaient à longueur de soirées. Au mois d'août ils demandèrent à étudier le droit. Cela leur fut accordé et ils quittèrent la pension. Leur garde ayant été confiée à leur mère, ils vinrent habiter chez elle au 3e étage du 18 rue des Petits-Augustins [rue Bonaparte aujourd’hui, dans sa partie basse]. La fenêtre de leur chambre ouvrait sur la cour du musée des Monuments français qui avait été installé en 1791 par Alexandre Lenoir dans les bâtiments du couvent des Petits-Augustins, avant que l'École des beaux-arts ne s'y établisse en 1820. Les gisants qui encombraient la cour excitaient leur imagination romantique et les études de droit ne furent qu'une façade derrière laquelle les deux jeunes gens, avec le soutien d'une mère compréhensive, se lancèrent dans la voie littéraire où Victor excella !
… deux cents ans... Le 20 mars 1818 un incendie détruisait presque entièrement le second Théâtre-Français. Ce n'était pas la première fois que le feu s'invitait dans sa courte histoire. À la fin du Directoire déjà, le 18 mars 1798, celui qui portait alors le nom de théâtre de l'Odéon (après s’être appelé successivement Théâtre-Français, théâtre de la Nation, théâtre de l'Égalité) disparaissait dans des flammes qui, dit-on, illumina tout Paris. Après être resté à l'état de ruine pendant huit ans, il avait été reconstruit par Chalgrin, l'un des grands architectes de l'Empire, et avait rouvert ses portes en 1808 sous le nom de théâtre de l'Impératrice. En 1818, c'est l'architecte Baraguey, qui avait assisté Chalgrin, qui fut chargé de sa remise en état. Les travaux furent rondement menés, le théâtre rouvrit le 1er octobre 1819 et fut placé sous l'administration de la Comédie-Française.