Mes confinements
Reconnaissons le caractère unique du confinement que nous vivons actuellement car il concerne l’ensemble de la population mondiale. Quant à la liberté d’aller et venir, restreinte par la loi d’exception sanitaire, ce sont les autorités qui sont chargées de la faire respecter pour veiller au bon fonctionnement de notre vie en société.
Avec un regard rétrospectif – comme il sied pour un membre d’une société historique – je me propose d’illustrer modestement quelques variantes de confinement que j’ai personnellement vécues.
1. Mon premier confinement.
Nous sommes en novembre 1944 dans un village de 2 000 âmes situé le long de la route nationale 3, pas très loin de ce qui était antérieurement une frontière avec l’Allemagne. La partie de l’axe routier traversant le village avait été baptisée quatre ans plus tôt « Adolf Hitler Strasse ».
L’armée commandée par le général Patton s’était arrêtée au haut des collines qui dominent la cuvette dans laquelle se blottit le village. Le général américain fait dire au maire de faire de telle sorte qu’aucun des habitants ne se trouve dans les rues. Dans le même temps, il chargeait le maire de faire savoir aux soldats allemands occupant la caserne construite dans les années trente pour les gardes mobiles français, qu’ils avaient un certain nombre de jours pour se retirer sans combattre.
Il fallait rester dans les maisons. C’est alors que je découvris la grande porte au fond de la cour qui cachait une immense cave creusée dans le grès. Elle fut rapidement remplie de matelas apportés par des parents, amis et voisins. Une quinzaine de personnes s’y sont recroquevillées.
Âgé de deux ans et huit mois, je m’étais réjouis à l’arrivée de mon frère quelques semaines auparavant : il allait mobiliser l’attention de ma mère et – nolens volens – me laisser développer mon sens de l’initiative. Le joyeux désordre apporté par les improvisations ne pouvait que favoriser ma recherche de l’autonomie. En conséquence je n’étais jamais où on pensait me trouver. Je me suis fait sévèrement gronder lorsqu’on me vit un jour, allongé derrière la porte cochère, fasciné par l’incendie de la Kommandantur qui se trouvait juste en face de notre maison. Car les Américains avaient voulu donner un avertissement et faire savoir qu’ils visaient juste. Finalement le village fut libéré sans combat : les soldats allemands laissèrent la caserne aux Américains. Et c’est ainsi que j’ai appris mon premier mot d’anglais : chewing-gum.
2. Des micro-confinements
J’ai eu affaire à diverses autorités légitimement fondées à me priver, de manière très limitée dans le temps, de ma liberté d’aller et de venir. Je me contenterai de les énumérer sans grands développements pour ne pas transformer une évocation en une étude détaillée du pourquoi et du comment.
En 1966 au mois de février, au service militaire. Une nuit passée « au trou » très adapté pour abriter la douzaine de trublions qui avaient fêté intempestivement mais aussi bruyamment leur prochaine réaffectation !
En 1973 le 20 mai, à l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon. Coma provoqué par un accident de la route dû au mauvais comportement d’un chauffard. L’immobilisation prit fin huit jours plus tard lorsque je parvins à prononcer la fameuse phrase inoubliable : « Où suis-je ? ».
En 1983 en été, une enquête de police. Quatre heures dans le sous-sol d’un commissariat, sans cravate ni ceinture ni même chaussures. Un coup de fil du préfet du département est venu libérer l’honnête professionnel de la banque ainsi maltraité.
3. L’auto-confinement
À l’achèvement de la série de trente-cinq séances de radiothérapie destinées à vaincre un cancer, j’ai appris que la remise en place des organes chahutés par le traitement allait s’étaler sur un an environ et n’allait pas faciliter (euphémisme) ma vie sociale. Nous sommes le 29 novembre 2019. Je décide donc ce jour-là de m’auto-confiner et de ne m’accorder qu’une sortie par jour pour l’achat du journal et, une fois par semaine, pour le ravitaillement. Comment imaginer que quelques semaines plus tard le monde entier allait devoir se confiner sur ordre gouvernemental ?
Je dois préciser que l’inactivité n’est pas ma tasse de thé. C’est pourquoi je me fixe de combler une ancienne lacune littéraire en lisant les romans et nouvelles que Balzac a appelés La Comédie humaine : cent ouvrages répartis sur environ 12 500 pages et rangés en 24 volumes. Voilà de quoi rendre l’année 2020 inoubliable !
4. « Le confinement »
J’étais plus que prêt le 17 mars 2020 ! Pour moi donc peu de nouveautés, trois cependant :
D’abord trouver des masques. Le problème fut résolu par ma voisine anglaise qui me procura des masques fabriqués en Chine avant que la mairie du VIe ne propose un masque en tissu gratuit pour les citoyens de l’arrondissement âgés de plus de soixante-quinze ans. Le complément fut réalisé par ma fille qui a pu en vendre dans son commerce.
Seconde préoccupation, apporter la preuve que je n’avais pas attrapé le coronavirus. Pour ce faire je n’ai pas quitté mon appartement entre le 26 mars et le 14 avril allant jusqu’à sacrifier la lecture quotidienne du journal et j’ai profité de l’aimable proposition de mes voisines de faire mes courses. Ainsi pas de contact avec le microbe qui s’est trouvé, le cas échéant, noyé sous des flots de lotion hydroalcoolique. Mon médecin traitant, en mesurant mon taux d’oxygénation du sang, a pu vérifier que mes poumons fonctionnaient normalement : je n’avais pas le virus !
La troisième préoccupation, me substituer à ma femme de ménage. De son propre aveu, j’y suis très bien arrivé pendant les deux mois où elle a été confinée chez elle !
La fin du confinement pour les citoyens-consommateurs me remet dans la situation antérieure car l’année de récupération n’est qu’à moitié écoulée. Pour moi, il s’agit donc de continuer le combat et de maintenir l’auto-confinement.
Alexandre Thommes
1er juillet 2020