Ah ! Le bon vieux temps, le temps du confinement !
Où est passé ce bon vieux temps ? le temps où Jean-Pierre Duquesne essayait d’organiser son immense bibliothèque (Petit journal n° 2), le temps où Claire Béchu-Benazet faisait le tour du monde tout en restant chez elle (Petit journal n° 18), le temps de revisiter la collection des milliers de cartes postales de Gabriel Thibon (Petit journal n° 19), etc. Bravo, le Petit journal du confinement qui nous tenait en haleine !
Fini ce temps-là. Le déconfinement est arrivé : grande libération pour tous, dit-on ! Pouvoir sortir à nouveau ! Revoir enfin du monde ! Profiter de la liberté retrouvée !
Mais le masque aussi est arrivé : le monde était changé.
Dans les rues de nouveau bourdonnantes et enfin repolluées on se croisait en hésitant : des yeux anonymes, sombres et comme cachés au-dessus des masques, vous épiaient, vous scrutaient, vous mesuraient, vous évitaient, vous étiez l’ennemi n°1. On se serait cru revenu au temps de notre bon roi Henri, où dans les étroites ruelles du vieux Paris, à la tombée de la nuit, on serrait de la main droite un poignard caché dans les plis de son pourpoint, quand on croisait on ne sait quelle ombre menaçante, dans l’encoignure glauque d’une sortie de coche.
Et dans les magasins c’était pire encore ! Chacun se distançait honteusement l’un de l’autre suivant des bandes au sol 1 m, 1,50 m jusqu’à 2 m même ! Sous prétexte que des petites bulles gavées de crachouillis et de pustules pleines de virus, suspendues dans les airs, pouvaient vous éclater au visage toutes griffes dehors !
Il n’y avait plus guère que dans le métro, aux heures de pointes, où l’on pouvait encore se frotter les uns aux autres sans vergogne.
Oui, ce bon vieux temps du confinement, je l’avoue, je le regrette un peu.
Parce que, pendant ce temps-là, je voyageais, moi aussi, en Égypte, en Crète, en Grèce, en Italie, et même en Sicile. J’étais dans l’Antiquité, à la recherche de la naissance de la géométrie. Lors de sa parution, de semaine en semaine, j’avais acheté la collection extraordinaire des génies mathématiques, éditée par Le Monde - l’OBS. À peine feuilleté, j’avais posé les quelques vingtaines de ces volumes dans un coin de bibliothèque réservé aux mathématiques, pour plus tard.
Peut-être à cause de ma formation d’architecte à l’École des beaux-arts, quai Malaquais, je me suis toujours intéressé à cette fameuse époque bénie des civilisations archaïques où quelques génies, tout seuls, découvraient ou inventaient les secrets des nombres et les clefs géométriques qui étaient censés gouverner le monde. Lors du confinement, et pour en avoir le cœur net, j’en ai repris la lecture.
Ma première station a été Milet en mer Egée, où j’ai rencontré Thalès (624-546 av. JC), et aussi son contemporain Anaximandre (610-546 av. JC) les chefs de file de l’école ionique et de la philosophie présocratique. Thalès m’expliqua comment il avait calculé la hauteur des pyramides d’Égypte à partir de la longueur de leur ombre. Il me dit aussi un théorème de ses trouvailles : « tout angle inscrit dans un demi-cercle est un angle droit », et puis d’autres encore ! J’en étais bluffé, à son âge, 600 ans avant notre ère !
Et puis dès lors que j’étais sur place, rien ne m’empêchait de faire le tour de tous les copains pionniers de la pensée grecque de l’époque : Anaximène, Héraclite, Xénophane, Parménide, Zénon, Empédocle, Anaxagore, Démocrite... et d’autres encore que j’ai rencontré et qui, eux, m’ont demandé l’anonymat.
Et puis évidemment, finalement, je suis allé voir notre fameux Pythagore ! Il était encore à Samos, la ville rivale de Milet, et pas très loin en mer, un coup de barque m’y a emmené. Ce fut la première fois que l’on me servit à bord des sardines grillées, comme à Marseille !Fort de ses voyages initiatiques et de ses études, Pythagore (570-490 av. JC) avait fondé à Samos une petite école de philosophie qu’on appelait l’Hémicycle. Ce qu’il me raconta alors de sa pensée du monde me laissa pantois ! Le cosmos était gouverné par les nombres, la terre était une sphère (déjà, plus de 1 000 ans avant Galilée), et les âmes qui s’y trouvaient étaient immortelles. Elles se réfugiaient dans les étoiles du firmament, quitte à revenir sur terre un jour pour se réincarner, y faire le bien et mériter ainsi le bonheur éternel sur la Lune ou le Soleil. Idée que reprendra plus-tard Platon, et puis bien d’autres prophètes connus.
Samos était alors gouvernée par le tyran Polycrate que j’ai eu l’occasion d’apercevoir un jour, fier comme un petit banc, lors d’un défilé de ses troupes multicolores. Pythagore qui ne l’appréciait guère, devenu persona non grata, fut obligé de s’enfuir. Il choisit d’installer sa nouvelle école dans la ville de Crotone en Italie, colonie grecque à l’époque, où un de ses successeurs les plus connus, Philolaos (470-385 av. JC), fonda la fameuse secte des Pythagoriciens. C’est lui qui m’a fait découvrir les balbutiements de la géométrie de l’époque, et notamment la démonstration graphique du fameux théorème dit de Pythagore : a2+ b2 = c2, que l’on enseigne encore dans nos écoles plus de 2500 ans après. Un piquet fiché dans le sable, une corde et une règle (en fait, un bâton taillé bien droit) faisaient l’affaire. En me réveillant brusquement dans mon VIe, toujours confiné, mon sang n’a fait qu’un tour. Je disposais d’outils informatiques sublimes qui pouvaient se substituer à ces engins primitifs et retrouver ainsi et rapidement le plaisir extrême de reconstituer en dessin l’essence de ces antiques découvertes mathématiques.
Voici donc deux de ces graphiques réalisés en DAO, illustrant la démonstration géométrique du théorème de Pythagore, et le moyen de les réaliser avec la règle et le compas seuls, comme il était d’usage alors dans nos écoles d’art depuis la Renaissance.
Michel Hennuyer
27 juin 2020
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