Le bouquiniste est-il soluble à la covid-19 ?
La question a pu se poser jusqu'au déconfinement... à voir le suspens perdurer les premiers jours de l’ère post confinementielle !
Eh bien non ! Ils sont toujours là les bouquinistes, fragilisés, engourdis mais présents !
Peu nombreux étaient-ils lors de l’autorisation de relever les couvercles de leurs boîtes : ils ont conservé leur bien le plus précieux : la liberté, la liberté de choisir d’ouvrir ou non, de choisir leur rythme, tôt le matin ou tard le soir !
Il faut avouer que deux mois de fermeture totale, ça ne leur était jamais arrivé depuis 450 ans d’histoire, il y avait bien eu quelques moments aux XVIIe et XVIIIe siècles où on avait suspendu leur autorisation d’exercer, des catastrophes naturelles comme la tornade de septembre 1896 ou la crue de 1910, mais comme cela : jamais !
Photo Jérôme Callais
Rassurez-vous ! Ils ont profité de tout ce temps pour faire ce qu’ils remettaient toujours aux calendes grecques, ranger leurs réserves. Deux mois pleins à retrouver des ouvrages égarés, oubliés ou tout simplement à étudier et préparer les ultimes acquisitions faites à la veille de cet arrêt. De belles surprises vous attendent !
Étrange expérience que ce temps où ils ne pouvaient plus aller cueillir quotidiennement sur leurs quais leur dose de plein air, de visites de fidèles habitués, d’échanges improbables, de rencontres inattendues avec des collectionneurs passionnés et des bibliophiles à la recherche d’une édition originale d’un auteur oublié...
Mais aussi deux mois passés très vite, en pleine osmose virtuelle entre bouquinistes, tout ce qu’ils enseignent, font découvrir, explorer, pour enfin au déconfinement partager toutes ces joies avec leurs clients, amateurs et experts, curieux et passionnés, qui se promènent pour le plaisir, flânent à la recherche du livre, de l’estampe, de la perle rare.
Sur les quais de la Seine, les boîtes vert wagon endormies se sont rouvertes, elles proposent de nouveau leurs trésors aux véritables amateurs. Certes, absence de masque, respect médiocre des règles de distanciation physique, indiscipline légendaire des Parisiens …
Et qu’importe si les clients sont rares pour le moment. Les discussions et échanges reprennent, très probablement comme autrefois dans une courtoisie et une civilité retrouvées, sans être bousculés, piétinés par la transhumance de touristes et de célébrités flânant dans le « Paris éternel » à la recherche d’un souvenir original ou d’une prise de photo pittoresque. Peut-être même est-ce mieux ainsi !
Pour l’instant, ce sont majoritairement des riverains qui redécouvrent avec bonheur ce petit commerce de proximité si spécifique à Paris, on attend le déconfinement de l’Institut de France voisin et le retour des académiciens explorant les boîtes au contenu renouvelé, et on se languit même des touristes de l’été !
On attend, on espère. Car rien ne remplacera jamais cette tradition : sentir l’odeur du papier, chiner au hasard des boîtes, discuter entre passionnés.
Et l’on se prend à croire qu’enfin cet immémorial métier des bouquinistes des quais de Paris sera inscrit à l’inventaire des monuments historiques, puis au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco !
Jérôme Callais
Bouquiniste quai de Conti
Paris le 9 juin 2020