Charles-Marie Widor, un grand compositeur, un grand organiste à Saint Sulpice
Du mariage de la princesse Margaret à celui du prince Williams, les grandes célébrations font très fréquemment appel à une œuvre dominante de Charles-Marie Widor : la Toccata pour orgue de sa symphonie no 5, un véritable « tube » de concert. Cette Toccata est même si célèbre qu’elle éclipse quelque peu le reste de son œuvre qui est pourtant d’une grande qualité, sa musique de chambre notamment, encore peu enregistrée ou jouée et que l’on redécouvre peu à peu.
Le grand orgue de Saint Sulpice
Widor, né en 1844, est rapidement initié à l’orgue par son père, il doit en premier lieu sa célébrité à son œuvre pour cet instrument. Ses symphonies pour cet instrument sont concertantes, vivantes, à la fois poétiques et souvent d’un grand dynamisme communicatif. Après avoir été suppléant de Louis James Alfred Lefébure-Wely aux claviers de Saint-Sulpice, Widor assure ses fonctions aux claviers pendant 64 ans, jusqu’à l’âge de 90 ans, quelques années avant son décès survenu en 1937 (64 ans est une durée record, sachant de surcroit qu’il n’a jamais été officiellement titularisé à cette tribune des plus enviées du monde !).
Le buffet vu de la tribune (photo Christian Chevalier)
L’orgue de Saint-Sulpice
L’œuvre de Widor est en pure symbiose avec l’instrument de Saint-Sulpice, lui même tout à fait emblématique de la facture du XIXe siècle : c’est un monument énorme de notre patrimoine, édifié de 1860 à 1862 par le célèbre facteur Aristide Cavaillé-Coll dans un buffet monumental de Chalgrin. Pour la petite histoire du quartier, Cavaillé-Coll avait son usine, dotée d’un grand hall d’exposition, au 94, rue de Vaugirard, elle fut « avalée » par le percement de la rue de Rennes.
La console du grand orgue de Saint-Sulpice. (Photo Christian Chevalier)
L’orgue est pourvu de 5 claviers et un pédalier, avec plus de 100 jeux c’est assurément un des plus grands instruments de ce facteur, et disons-le, un des plus prestigieux dans le monde. Le génial industriel artisan est parvenu à construire un grand instrument moderne, puissant, à la sonorité adaptée au courant romantique, tout en ayant la clairvoyance de conserver la plupart des tuyaux de l’ancien orgue du XVIIIe que la Révolution avait miraculeusement épargné, un héritage de François-Henri Cliquot, autre grand facteur français.
Hommages aux facteurs, faisant face à la console
Le salon Widor
Le bureau des organistes (pohoto Christian Chevalier)
Paradoxe, juste derrière la tribune de cet orgue monumental, on peut découvrir une très curieuse petite pièce, dite « salon Widor », encore un petit joyau caché du patrimoine, qui expose des gravures et quelques bustes dont celui de Widor, d’un réalisme saisissant !
Buste de Charles-Marie Widor (photo Christian Chevalier)
Le dévouement de Widor pour Saint-Sulpice
Au vu de son implication et de son dévouement pour cette église, l’organiste compositeur est un des derniers sinon même le dernier à avoir été inhumé à Saint-Sulpice, en dépit de l’interdiction en vigueur ; la visite des cryptes permet de voir la grille qui protège son tombeau. Quelque temps avant sa mort, à l’âge de 88 ans il réalisait un enregistrement audio légendaire de sa Toccata (à retrouver sur Youtube), il avait alors choisi un tempo très mesuré : https://www.youtube.com/watch?v=J8vz1D_L_OE).
Widor et le VIe arrondissement
Charles Marie Widor était membre de la Société historique du 6eme, pratiquement dès la première heure (rappelons que la Société Historique du 6eme a été fondée en 1898), c’était un membre d’ailleurs très actif, à en juger par ses interventions et communications relevés dans les compte rendus de séances, à partir de 1917 il était d’ailleurs membre du conseil d’administration.
La Société historique conserve deux documents curieux ou anecdotiques le concernant.
D’abord un portrait gravé, inséré... dans un recueil publicitaire à la gloire du vin Mariani « riche en coca du Pérou » ! On s’étonnera à priori d’y rencontrer un tel artiste : en fait la marque avait eu l’idée géniale de concevoir une sorte de « livre d’or » incluant les portraits des personnages les plus en vue du temps, chacun y déposant un court autographe élogieux sur le vin Mariani. Y figurer devait donc être tout à fait acceptable et même recherché à l’époque au vu de l’impressionnante liste des participants, notamment d’autres musiciens comme Gounod, Massenet, Guilmant, « confrère » de Widor, titulaire à la Trinité et qui qualifie le vin Mariani d’ « excellent tuyau pour se bien porter », mais aussi Sarah Bernhardt, Dumas, Nadar, Zola ..., autre temps ....
Portrait gravé de Charles-Marie Widor, doc. SH6
Portrait gravé d’Alexandre Guilmant, doc. SH6
Le bon « tuyau » d’un organiste, doc. SH6
L’autre document, daté de 1906, est une lettre autographe de Charles-Marie Widor adressée à Henri Baillères, président de la Société historique et maire d’arrondissement, dans laquelle l’auteur, non sans humour, se plaint d’erreurs figurant à son sujet dans notre Bulletin, ainsi que dans d’autres parutions telle la Gazette de Stockholm : il s’agit de son adresse erronée notamment, et surtout du fait qu’il se voit déjà décédé en 1887 !
Lettre autographe de Widor, doc. SH6
« Evidemment l’archéologue qui fera l’histoire des organistes parisiens (en notre siècle), perdra beaucoup de temps avant de soupçonner la Société historique, ou la feuille de Stockholm, la première surtout. Voulez vous avoir la grande obligeance de prier votre secrétaire de bien vouloir rectifier cette coquille dans les prochains Bulletins (...) ».NDLR : ce fut fait.
Widor eut au moins quatre domiciles identifiés dans le 6eme arrondissement, trois sont mentionnés dans sa lettre, la Maison Plon au 8, rue Garancière, puis le 2, rue de l’Abbaye, le 7, rue des Saint-Pères, enfin une dernière adresse a été relevée dans notre Bulletin au 25, Quai Conti.
L’orgue de Saint-Sulpice à notre époque
Autour du titulaire Daniel Roth, une équipe fait brillamment vivre ce patrimoine précieux : des concerts de grande qualité (entrée à participation libre) sont régulièrement organisés, avec écran géant et présentations historiques de qualité sur l’instrument, les œuvres dans leur contexte et leurs auteurs.
Voir le site : http://www.aross.fr/
Ecouter Daniel Roth jouer Widor à Saint-Sulpice : https://www.youtube.com/watch?v=Oi5S-bw8aVw
En savoir plus sur l’orgue de Saint-Sulpice
Notre BULLETIN XVI - Année 1913 T. I : un article de F. FOIRET, « Un marché avec le 1er organiste de Saint Sulpice », détaille un accord entre la paroisse et l’organiste Vincent Coppeau (paraissant avoir été en fonction de 1618 à 1640), qui se voyait alors confier en outre l’entretien de l’instrument, ce pour un prix très modique.
CCh