Talleyrand, un enfant du 6ème arrondissement
Si la fascinante figure de Talleyrand n'est plus à présenter, on ne sait peut-être pas que sa naissance, son enfance, sa jeunesse, ses années de formation et ses premières responsabilités ont eu pour décor ce qui, quelques décennies plus tard, allait devenir le 6ème arrondissement.
C'est à l'ombre des tours de Saint-Sulpice, rue Garancière, que le 2 février 1754 naît Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, au domicile de ses parents, dans un hôtel particulier situé à l'emplacement de l'actuel numéro 4 (1). Il n'y reste pas longtemps, confié aussitôt à une nourrice « dans un faubourg de Paris », s'il faut en croire ses Mémoires, jusqu'à l'âge de quatre ans. C'est ensuite sa bisaïeule paternelle, la princesse de Chalais, qui prend soin de lui pendant quelques années dans son château de Saintonge.
Rue Garancière, sur la droite le 4 (doc. Sh6)
Sa claudication conduit sa famille à reporter sur son cadet Archambault les prérogatives d'ordinaire dévolues à l'aîné des enfants. Il est donc destiné à l'état ecclésiastique, ce qui suppose qu'il entame au préalable de sérieuses études : on le rappelle à Paris. Âgé de huit ans, il entre en 1762 comme pensionnaire au très illustre collège d'Harcourt, lointain ancêtre de notre lycée Saint-Louis (2). A l'en croire, les sept années qu'il va y passer s'avèrent assez ternes. Comme la plupart des enfants de l'aristocratie et à la différence de ceux issus de la bourgeoisie (le collège étant ouvert à tous), il y dispose d'un précepteur particulier. Il en changera d'ailleurs plusieurs fois et, s'il assurera plus tard qu'ils ne jouèrent aucun rôle dans son instruction, il restera fidèle au dernier d'entre eux, un dénommé Langlois, auquel il offrira sous la Restauration une chambre dans son hôtel de la rue Saint-Florentin.
Le collège d’Harcourt au XVIIIe siècle, gravure de Martinet (doc. Sh6).
Ses humanités achevées en 1769, il est temps de le préparer à la prêtrise. C'est la fin de son deuxième passage dans le 6ème arrondissement. Il y reviendra sous peu. Pour commencer on l'envoie passer quelques mois à Reims auprès de son oncle Alexandre-Angélique de Talleyrand, le coadjuteur de l'archevêque Charles-Antoine de La Roche-Aymon. Le jeune homme de 15 ans a alors tout loisir d'observer de l'intérieur le fonctionnement du premier ordre du royaume. Cette sorte d'initiation achevée, il est temps de passer à l'étape suivante. Le voilà de retour à Paris, et à nouveau à l'ombre des tours de Saint-Sulpice.
Le collège d’Harcourt, maintenant lycée Saint-Louis, et Saint-Sulpice (doc. Sh6)
En avril 1770 en effet, grâce à la protection de son oncle le prélat, il entre au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne reste strictement rien de cet édifice, car, contrairement à ce qu'on pense parfois, l'austère bâtiment qui borde la place actuelle sur son côté droit, qu'on appelle communément l'ancien séminaire et qui abrite dorénavant l'administration des impôts, n'a été construit que sous la Restauration. Le séminaire d'alors occupait la plus grande partie de l'actuelle place Saint-Sulpice. Fermé sous la Révolution, il a été démoli en 1803 dans le cadre des travaux d'urbanisme décidés par le Premier consul (3). Le jeune abbé de Périgord, appellation qu'il gardera jusqu'à sa nomination comme évêque, suit la formation intellectuelle et théologique de tout séminariste, mais il y développe aussi les traits de caractère qui formeront sa personnalité. Il y noue également de solides amitiés qu'il saura plus tard mettre à profit.
Médaille de l’ancien séminaire Saint-Sulpice (doc. Sh6).
Le 1er avril 1775 il est ordonné sous-diacre en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Sans perdre de temps il se met en quête de lucratives prébendes et s'établit dans le très aristocratique faubourg Saint-Germain, ce qui marque la fin de son troisième séjour dans le 6ème arrondissement. On l'y reverra bientôt.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, gravure de G. Coindre (doc. Christian Chevalier).
Car une forte ambition le pousse à se placer au plus vite dans les instances gouvernant l’Église de France. Pour cela il doit accéder à la prêtrise, ce qui advient le 18 décembre 1779. Cette formalité accomplie, car pour lui il ne s'agit que d'une formalité, les choses vont s'accélérer. Quelques mois plus tard, le 10 mai 1780, il est nommé pour cinq ans l'un des deux agents généraux de l'Assemblée générale du clergé. Le poste est stratégique. « L'agent général du clergé est au centre de la machine administrative de l’Église et son représentant auprès du roi. Il a rang de conseiller d’État et droit d'entrée au Conseil du roi, à son comité des affaires ecclésiastiques comme chez les ministres ». Pour la quatrième fois, le revoilà dans le 6ème arrondissement ! En effet les bureaux de l'agence sont installés au couvent des Grands-Augustins, quasiment face au Pont-Neuf. Il n'y réside pas, mais on l'y voit sans cesse. Cette période de sa vie est moins connue que les épisodes suivants, mais les cinq années qu'il passe dans cette fonction de premier plan sont capitales en ceci qu'elles lui ont apporter la formation aux questions financières qui lui sera si précieuse dans les responsabilités qu'il exercera par la suite et, car pour lui les deux vont de pair, pour se constituer une solide fortune.
Le couvent des Grands -Augustins au XVIIe (doc. Sh6).
Ensuite il résidera sur la rive droite, dans le somptueux hôtel de la rue Saint-Florentin où il hébergera en 1814 le tsar Alexandre, mais ses fonctions de ministre à la fin du Directoire, puis sa qualité de sénateur puis de pair de France sous l'Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet, le conduiront souvent au palais du Luxembourg où siège la haute assemblée, à quelques pas de sa maison natale. Alors, oui, Talleyrand est bien un enfant du 6ème arrondissement.
Le palais du Luxembourg en 1777 (doc. Christian Chevalier)
JPD
(1) Cet hôtel, édifié en 1624, accueillit d'abord une œuvre paroissiale, les Filles de la Société de la Vierge. Il en reste quelques vestiges dans la cour de l'immeuble actuel (Source : Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963).
(2) Le collège d'Harcourt fut fermé en 1793 et démoli en 1795. En 1814 Napoléon fit construire un lycée sur son emplacement, qui fut ouvert en 1820 sous le nom de collège Saint-Louis (Jacques Hillairet, ibid.). Après quelques modifications liées au percement du boulevard Saint-Michel, c'est aujourd'hui le lycée Saint-Louis.
(3) Voir sur notre site l'article « Le premier séminaire Saint-Sulpice ».
(4) Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand, le prince immobile, Paris, Editions Tallandier, collection Tempus, 2015, p. 88.