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Delacroix, les tours de Saint-Sulpice : mais où se cache donc l’artiste ?

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Delacroix, les tours de Saint-Sulpice : mais où se cache donc l’artiste ?

 

Une église en silhouette, un dôme et un clocher au loin, cette œuvre d’Eugène Delacroix, conservée au Kusthalle de Brême et intitulée Vue de Saint-Sulpice par ciel d’orage, avec en arrière-plan le Panthéon. Œuvre très probablement exécutée en 1824, époque à laquelle l’artiste partageait l’atelier de son ami, le peintre anglais Thalès Fielding, rue Jacob à Paris, avait un jour attiré mon attention.


Delacroix avait effectivement partagé en sa jeunesse un logement au 20 rue Jacob. Le paysage ne semble pas d’une grande fidélité, mais une peinture n’est pas une photographie …


Cependant l’apparition récente dans une vente aux enchères d’une œuvre éponyme de la même scène change la donne. Car tous les détails s’y retrouvent, silhouettes, formes, détails, et ceci avec une égale précision, ce qui accentue la véracité du paysage.


Les rais de lumières au travers d’une tour identifient déjà clairement la tour sud.

 

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Delacroix, Vue des tours de Saint-Sulpice par temps d'orage


Problème : la vue depuis le 20 rue Jacob ne s’y conforme pas. La photographie ci-après, prise de la rue Visconti, montre bien que Saint-Sulpice ne peut y être vue sous ce profil. On n’y entrevoit la tour sud qu’avec peine, elle est masquée en tout ou partie, elle est à gauche de la tour nord. Sur toute la rue on ne la verra jamais à droite, ce que le plan ci-après permet de confirmer.


Alors, si on exclut la rue Jacob, où se cache donc notre artiste ?

 

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Point de vue de saint-Sulpice depuis le 20 rue Jacob


Regardons Saint-Sulpice : l’église est vue de biais, tour nord à gauche, tour sud à droite : nous sommes donc à son nord-ouest et, pour la voir sous cet angle, il faut se situer dans le secteur représenté en vert clair sur le plan.

 

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Angle pour un profil de l’église Saint-Sulpice comme vu par Delacroix


Ensuite concernant le lointain, le clocher, dont on reconnaît bien la forme, est très certainement celui de Saint-Étienne-du-Mont (l’Observatoire de la Sorbonne n’existait pas à l’époque), pour le « dôme » il reste alors à arbitrer entre Panthéon et Sorbonne.

 

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Vue vers l’est prise rue de Rennes


Prenons un peu de recul sur nos plans : le Panthéon est exclu car aucun clocher ne peut être vu à sa droite depuis notre quartier. Si on aligne alors la Sorbonne, le clocher et l’arrière de l’église (bande violette), on restreint déjà notablement la zone de l’atelier à l’intersection de cette bande et du triangle vert défini précédemment.

 

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Angle de vue des monuments en arrière plan de saint-Sulpice


Les rais de lumière de la tour sud, qui sont partie intégrante de la composition du maître, donnent enfin la solution car l’angle d’où ils se voient bien, en jaune sur le plan, est relativement étroit.

 

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Angle de vue des rais de lumière de la tour sud.


Il ne nous reste donc plus qu’à superposer nos trois zones de couleur pour trouver où se cachait le maître. Sur notre plan, moderne ne l’oublions pas, l’atelier se localise à proximité de l’intersection de la rue de Rennes (qui n’était pas encore percée à l’époque du peintre) et de la rue du Four.
Intersection des zones définies précédemment sur un plan actuel.


Allons encore plus loin, reprenons un plan d’époque et risquons cette hypothèse : au centre de notre zone,entre 1838 et 1846, le peintre avait loué un atelier dans la petite rue Neuve-Guillemin, avalée plus tard entre 1867 et 1870 par la rue de Rennes, et parmi tous les domiciles et ateliers du maître à Paris, c’est la seule adresse qui convienne !


Mais au fait, pourquoi ne voit-on pas le Panthéon ? Parce que depuis cet endroit, il est masqué par la tour nord.

 

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La zone ciblée pour l'emplacement de Delacroix, sur le plan Topographie historique du VIe arrondissement.


On ne croit donc plus du tout à l’adresse du 20 de la rue Jacob pour localiser l’atelier (hypothèse notée d’ailleurs prudemment comme « probable » dans les notices, mais à laquelle la datation de 1824 semble liée) : notre nouvelle suggestion de la rue Neuve-Guillemin aurait alors l’avantage notable de recaler ces deux peintures entre 1838 et 1846, ce qui en ferait des œuvres plus matures dans la carrière du maître.


La rue Neuve-Guillemin était une des petites rues étroites disparues lors du prolongement de la rue de Rennes. Elle était décrite comme sale et sordide. Delacroix y avait un atelier au toit d’une maison habitée par un marbrier, dit-on, sans plus de précision sur sa localisation.

 

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La rue Neuve-Guillemin, prise vers 1867 par Marville depuis la rue du Vieux-Colombier vers le nord. Source Vergue.com, collection : GDC.

 

 


Christian Chevalier

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