Concini, le soi-disant prénommé Concino, et la Galigaï, son sulfureux alter ego féminin
Lorsque les rois de France épousent des princesses étrangères, celles-ci quittent à jamais leur pays natal. En contrepartie elles sont escortées par un nombreux cortège proportionné à leur rang et accompagnées d'une suite de compatriotes chargées d'adoucir la rupture familiale, d'autant qu'elles sont généralement fort jeunes.
Quand elle épouse Henri IV le 17 décembre 1600 dans le but de réussir là où Marguerite de Valois, la reine Margot, a échoué, c'est-à-dire donner un héritier au roi, Marie de Médicis est dans sa vingt-sixième année, ce qui n'en fait plus une enfant. Dans sa suite figurent en bonne place deux étranges personnages, sa sœur de lait, Leonora Dori, fille d'une blanchisseuse et d'un fossoyeur, et le dénommé Concini, un aventurier qui se fait curieusement prénommer Concino, lesquels, arrivés en France, vont unir leur destin, pour le meilleur puis pour le pire. La postérité ne sera pas longue à les ranger dans les pages noires de l'histoire de France.
L'ascension
Leonora, avant son départ de Florence, s'est efforcée de faire oublier son obscure naissance en arrachant à un noble florentin aussi âgé que désargenté la transmission, moyennant finances, la transmission de son nom. Elle se fait donc désormais appeler Galigaï, mais les Français ne tarderont pas à accoler à son nouveau patronyme l'article « la » qui en dit long sur l'estime qu'ils lui portent.
Concini au contraire n'a pas à cacher sa naissance : son grand-père Bartolomeo a été ambassadeur du grand-duc de Toscane Côme de Médicis auprès de l'empereur Maximilien d'Autriche, son père Giovanni Battista notaire à Florence et premier secrétaire dudit grand-duc. Il suit de bonnes études à l'université de Pise, mais une ambition sans limites le pousse à tous les expédients pour réussir. Le mariage de la princesse toscane avec le roi de France est une occasion qu'il ne saurait laisser échapper : fort de ses antécédents familiaux, il parvient à se glisser dans l'escorte militaire de Marie sur la route de Florence à Paris. En chemin il lie connaissance avec Leonora Galigaï. Ces deux-là étaient faits pour s'entendre : ils ne vont plus se quitter.
Au début les choses ne se passent pas pourtant pour eux tout-à-fait comme ils l'avaient espéré, car Henri, méfiant face à ces Italiens turbulents qui virevoltent autour de son opulente épouse, veille de près à l'installation de la reine. Leonora n'obtient pas la place de dame d'atours qu'elle ambitionne (elle doit se contenter de celle de coiffeuse), tandis que Concino a tôt fait de se rendre odieux à tous ceux qu'il approche, au point que le roi refuse de donner son accord à leur mariage, sauf à ce qu'ils retournent l'un et l'autre à Florence.
Un détail au passage : en France Concini dit se prénommer Concino, alors qu'il semble avoir reçu au baptême les prénoms de Cosmi (en hommage au grand-duc) Giovanni Battista (prénoms paternels), comme en témoigne un livre provenant de sa bibliothèque et contenant les œuvres du dramaturge grec Euripide où ces prénoms apparaissent notés d'une écriture authentifiée comme la sienne (1). Pourquoi les avoir abandonnés pour un prénom dérivé de son patronyme. Aurait-il cherché ainsi à faire oublier un passé peu reluisant ?
L'hypothèse est plausible car Concini est dénué de scrupules. Intelligent aussi : il a vite observé que le roi n'entend aucunement se séparer de sa maîtresse, Henriette d'Entragues, qu'il adore, au désespoir de Marie qui ne cesse de le harceler à ce propos. Les deux Italiens vont habilement jouer de la situation. Ils flattent Henriette et la persuadent d'intervenir en leur faveur auprès de Henri. En contrepartie ils useront de leur influence auprès de Marie pour qu'elle accepte cette forme de ménage à trois. Cela marche. Ils se marient, restent à la cour de France et Leonora obtient de surcroît la charge tant convoitée de dame d'atours de la reine (2). Les voilà bien placés pour l'étape suivante.
Du Capitole ...
Bien placés certes, mais non assurés du lendemain. En 1610 la guerre contre l'Espagne est sur le point d'éclater et Henri IV entend prendre la tête de son armée. Que se passerait-il pour eux si d'aventure le roi était tué ? Ils se sont fait beaucoup d'ennemis et risqueraient fort d'être renvoyés à Florence. Qu'adviendrait-il du bel hôtel qu'en 1607 Concini s'est fait construire rue de Tournon, à l'actuel n°10 ?
L’hôtel dit des Ambassadeurs, au 10, rue de Tournon.
Gravure XIXe, doc Christian Chevalier.
Il est urgent d'assurer l'avenir. Marie de Médicis a été désignée comme régente du royaume en l'absence du roi, mais elle est entourée d'un conseil de régence de quinze membres qui ne lui sont pas tous favorables et surtout elle n'a pas été couronnée reine. Leonora la convainc d'obtenir du roi ce couronnement avant qu'il parte en campagne. C'est chose faite le 13 mai 1610, en la basilique de Saint-Denis. Il était temps : le lendemain, Henri IV tombe sous les coups de Ravaillac.
L'heure de Concini a enfin sonné. Le conseil de régence se met en place, doublé d'un conseil intime, le « conseil de la petite écritoire » comme l'a surnommé le chroniqueur Pierre de L'Estoile, composé des proches du feu roi. Mais la réalité du pouvoir s'exerce désormais au sein d'un troisième conseil, secret celui-là, où Concini tire les ficelles.
Le 12 juillet, il entre au Conseil des finances. À la même époque il devient premier gentilhomme de la Chambre et lieutenant général de plusieurs places fortes du royaume. Les émoluments qui accompagnent ces nominations lui permettent d'acheter le marquisat d'Ancre, en Picardie (2). Le 26 janvier 1611 Sully, se sentant de plus en plus isolé, remet sa démission: c'est une bonne nouvelle pour Concini, qui voit s'éloigner l'un des principaux obstacles à son ambition. Consécration suprême, il devient maréchal de France le 19 novembre 1613 et se fait appeler désormais le maréchal d'Ancre. Dans son hôtel de la rue de Tournon, baptisé hôtel d'Ancre, il mène un train princier, avec des cohortes d'écuyers, de pages et de domestiques. Cela n'est évidemment pas du goût de tout le monde. La noblesse, en particulier, se sent de plus en plus tenue à l'écart des affaires et complote comme jamais. Le jeune Louis XIII observe en silence, mais n'en pense pas moins. Il attend son heure, qu'il sait proche, les rois de France devenant majeurs à treize ans.
Et ce jour arrive le 27 septembre 1614. La déclaration de majorité fait l'objet d'une cérémonie solennelle au Parlement le 2 octobre suivant. Marie de Médicis n'est plus régente. Dans un premier temps pourtant, rien ne change, pas même les finances du royaume qui, depuis le retrait de Sully, sont en bien mauvais état. Comme on l'a déjà fait en pareille circonstance, on convoque les États généraux, qui se tiennent d'octobre 1614 à février 1615. Hormis quelques subsides bien venus pour le Trésor royal, ils ne résolvent rien.
Réunion des États généraux en 1614.
Gravure du XIXe, d’après une gravure ancienne.
... A la roche Tarpéienne
L'étoile de Concini commence pourtant à pâlir. Son arrogance lui a mis à dos le peuple parisien et la plus grande partie de la noblesse, à commencer par les Condé, princes du sang, qui complotent plus que jamais. L'arrestation du prince de Condé au Louvre le 1er septembre 1616 provoque un début d'émeute et le saccage partiel de l'hôtel d'Ancre. Les choses rentrent vite dans l'ordre, mais ce n'est que partie remise. Les princes se sont finalement soumis les uns après les autres et Concini, auquel Marie de Médicis ne sait rien refuser, se croit au faîte de sa puissance. Cet aveuglement va causer sa perte. Ne va-t-il pas jusqu'à s'inviter au Conseil du roi, dont il ne fait pas partie, et à s'y comporter comme le plus important des ministres ? Cela, Louis XIII, qui a mûri, ne peut le tolérer. Faire arrêter l'insolent ? Il faudrait être sûr des gardes, dont beaucoup sont dévoués à l'Italien. Conseillé par son favori le duc de Luynes, influencé aussi par une lettre de Sully à charge contre Concini et la Galigaï, le roi décide d'en finir une fois pour toutes, par la manière forte.
Mort de Concini. Gravure du XIXe siècle, pour une édition romancée de l’événement.
S'inspirant du scénario qui a conduit quelques années plus tôt à l'arrestation de Condé, mais le poussant jusqu'à son effet ultime, le 24 avril 1617, il charge son capitaine des gardes, le baron de Vitry, de liquider Concini. Celui-ci est intercepté à son entrée au Louvre par la porte du Coq (aujourd'hui la porte nord de la Cour carrée, celle qui donne sur la rue de Rivoli) et l'abat de plusieurs coups de pistolet, tandis que ses gardes l'achèvent à l'épée. Le peuple de Paris s'empare de son corps, le profane, le pend par les pieds à une potence, puis le dépèce avant de brûler ce qui en reste. Quant à la Galagaï elle sera peu après jugée pour sorcellerie, condamnée à mort, décapitée en place de Grève, puis brûlée et ses cendres dispersées.
Le cadavre du maréchal d’Ancre, gravure fantaisiste du XIXe siècle
Louis XIII s'appropria l'hôtel de la rue de Tournon et y résida souvent quand Marie de Médicis séjournait au palais du Luxembourg. Il le donna ensuite au duc de Luynes, avant de le lui racheter pour en faire la résidence des ambassadeurs des Cours étrangères les premiers jours de leur arrivée à Paris.
L’entrée de la caserne au 10, rue de Tournon, vers 1900. Carte postale Sh6.
Il connut depuis bien d'autres affectations jusqu'à devenir la caserne actuelle. Mais le nom lui est resté d'hôtel des Ambassadeurs, effaçant le souvenir du funeste maréchal d'Ancre (4).
JPD
(1) Paul-Louis Marais, L' « Euripide » de Concini, maréchal d'Ancre – Les prénoms de Concini, Henri Leclerc éditeur, 1914.
(2) André Castelot, Henri IV, Librairie Académique Perrin, 1986.
(3) André Castelot et Alain Decaux, Histoire de la France et des Français au jour le jour, Librairie Académique Perrin, 1976.
(4) On consultera aussi avec profit l'article publié par Paule Vasseur dans le Bulletin nouvelle série n°1 (année 1973-1974) de notre société, sous le titre Le Maréchal d'Ancre et son hôtel de la rue de Tournon.