Le VIe arrondissement sous la neige, janvier 1867.
… La ville noire sommeille, la neige se met à tomber avec lenteur dans la sérénité glacée de l'espace. Et le ciel couvre sans bruit l'immense cité en dormie d'un tapis virginal et pur. […] Le 2 janvier, lorsque Paris s'est éveillé, il a vu que, pendant la nuit, la nouvelle année avait mis une robe blanche à la ville. La ville semblait toute jeune et toute chaste. […] Mais quand la neige est venue, pendant la nuit, tendre sans bruit son épais tapis sur la terre, on pousse une légère exclamation de joie et de surprise. Toutes les laideurs de l'hiver s'en sont allées; chaque maison ressemble à une belle dame qui aurait mis ses fourrures; les toits se détachent gaiement sur le ciel pâle et clair; on est en pleine floraison du froid. Depuis hier, Paris éprouve cette gaieté que la neige donne aux petits et aux grands enfants. On est tout bêtement joyeux, parce que la terre est blanche.
Un coin du VIe arrondissement sous la neige (photo prise en 2013).
[…] Je viens de traverser le jardin du Luxembourg, et je n'en ai reconnu ni les arbres ni le parterre. Ah! que sont loin les verdures moirées d'or par les clartés, jaunes et rouges du couchant ! Je me suis cru dans un cimetière. Chaque plate-bande ressemble au marbre colossal d'un tombeau; les arbustes font çà et là des croix noires. Les marronniers des quinconces sont d'immenses lustres en verre filé. Le travail est exquis; chaque petite branche est ornée de fins cristaux ; des broderies délicates couvrent l'écorce brune. On n'oserait toucher à ces verreries légères, on aurait peur de les casser.
[…] J'ai vu, au carrefour de l'Observatoire, un groupe d'enfants grelottants et ravis. Ils étaient trois : deux garçons d'une douzaine d'années, portant le costume napolitain, et une fillette de huit ans, halée par les soleils de Naples. Ils avaient posé sur un tas de neige leurs instruments, deux harpes et un violon. Les deux garçons se battaient à coups de boules de neige, en laissant échapper des rires aigus. La fillette, accroupie, plongeait avec ravissement ses mains bleuies dans la blancheur du sol. […]. Oiseaux passagers des rues, [ces enfants] venaient, des contrées brûlantes et âpres, ils oubliaient la faim en jouant avec les blanches floraisons de l'hiver.
[…] Mais la cité ne garde pas longtemps sa belle robe blanche. Sa toilette d'épousée n'est jamais qu'un déjeuner de soleil. […] L'air devient plus doux, la neige bleuit, de minces filets d'eau coulent le long des murs, et alors le dégel commence, l'affreux dégel qui emplit les rues de boue.
ÉMILE ZOLA (Extraits d’un article paru dans Le Figaro du 17 janvier 1867)