Le barrage-écluse de la Monnaie
Le barrage-écluse de la Monnaie, carte postale du début 20ème. Document Sh6.
La voie fluviale fut pendant des siècles le mode de transport des marchandises le plus répandu, avant d'être supplantée par le chemin de fer, puis la route. Pour cette raison les autorités ont de tout temps attaché de l'importance à l'entretien des voies navigables naturelles complétées par la construction de canaux. L'essor industriel du début du 19ème siècle renforce les besoins en la matière et sous le règne de Louis-Philippe il apparaît nécessaire d'engager un ambitieux programme de travaux pour amener rivières et canaux au niveau exigé.
Le 11 mars 1845 le roi signe un projet de loi préparé par le ministre secrétaire d'État des travaux publics, affectant près de cent millions de francs, somme importante à l'époque, à l'amélioration de la navigation, la canalisation de rivières, la construction de canaux et de quais. La Seine et ses affluents en absorbent une bonne moitié, dont cinq millions pour la seule traversée de Paris. L'exposé des motifs, très complet, est instructif. Il reflète la diversité des avis rendus par les spécialistes consultés et les divergences d'appréciation entre l'administration des ponts et chaussées, la Compagnie des canaux de paris, concessionnaire de l'exploitation, et le conseil municipal. On note au passage qu'en ces temps révolus les textes officiels étaient rédigés dans une langue simple et claire compréhensible à tout un chacun ...
Concernant la traversée de Paris, le constat est sans appel :
« La traversée de Paris forme en quelque sorte une lacune dans la navigation de la Seine ; la pente énorme que présente son cours, entre le pont de la Tournelle et le pont des Arts, les obstacles qu'oppose à la remonte (1) le pertuis (2) de Notre-Dame, l'insuffisance du mouillage et la mauvaise disposition des arches des ponts du petit bras, tout se réunit pour entraver et même arrêter la circulation. Cependant, malgré des difficultés aussi graves, les besoins du commerce l'obligent à faire descendre chaque année, de l'amont à l'aval de Paris, avec le concours dispendieux d'équipages extraordinaires, 1 700 trains et 900 à 1 000 bateaux chargés, parmi lesquels 700 environ remontent à vide ».
Pour apporter une solution au problème ainsi posé, on s'appuie sur les conclusions d'une enquête préliminaire menée quatre ans auparavant, en 1841, préconisant un système de barrages mobiles, avec ou sans écluse selon les endroits, pour réguler le cours du fleuve. Pour les 8 kilomètres de la traversée de Paris, on retient après discussions six chantiers :
- la reconstruction des murs d'un certain nombre de quais, dont ceux des Grands-Augustins, de Conti et Malaquais ;
- la construction d'un chemin de halage (il faut se rappeler que la traction des bateaux à la remonte se faisait encore majoritairement par des chevaux) ;
- la reconstruction de plusieurs ponts (aucun de ceux se trouvant en prolongement de notre 6ème arrondissement n'est concerné) ;
- la rectification de la pointe de la Cité ;
- le dragage du petit bras ;
- et enfin la construction d'un barrage-écluse en amont du pont des Arts, à l'endroit le plus étroit du petit bras, là où remous et tourbillons perturbent la navigation.
Plan du barrage-écluse après réalisation (datant de 1903). Doc. Sh6.
Quelques années s'écoulent avant que la construction de ce barrage-écluse soit entreprise, entre 1850 et 1853, au niveau de l'hôtel de la Monnaie quai de Conti, ce qui lui vaut son nom de barrage de la Monnaie.
Construction de l’écluse de la Monnaie vers 1852 (Texier - Tableau de Paris). Gravure Christian Chevalier.
Au fil des ans le progrès technique entraîne l'essor des bateaux à moteur, péniches ou remorqueurs, et l'utilité d'un barrage-écluse censé faciliter la remonte diminue dans les mêmes proportions. Certains y voient même un obstacle à la rapidité de la navigation. La crue de 1910, qui l'a presque entièrement submergé, lui donne le coup de grâce.
L’écluse submergée en 1910, seule émerge la guérite de son extrémité. Doc Christian Chevalier.
Sa démolition est décidée après la guerre. Il est désaffecté, puis démoli au début de l'année 1924. Les travaux, dont le coût, partagé par moitié entre l'État et le département de la Seine, est de l'ordre d'un million six cent mille francs, durent un an et demi. Ils sont émaillés d'incidents. Pour compenser le retour des tourbillons à cet endroit particulièrement étroit du petit bras, on a prévu d'édifier un musoir (3) en amont, à la pointe orientale de l'île de la Cité, face à l'île Saint-Louis, avec pour effet de dévier une partie du courant vers le grand bras et de limiter d'autant le volume d'eau transitant par le petit bras. Malheureusement on démolit le barrage avant que le musoir soit construit et les remous réapparaissent, jetant des bateaux contre la berge et ébranlant les piles du pont des Arts.
Une vue datant probablement de 1918. Doc. Christian Chevalier.
Rien aujourd'hui ne rappelle l'existence de cet édifice de génie civil, si ce n'est quelques photographies ou cartes postales.
La littérature en revanche s'est montrée moins oublieuse, fût-ce de manière très discrète. On en trouve en effet une allusion là où on l'aurait guère attendue : chez Charles Péguy, dans le recueil intitulé La Tapisserie de Notre-Dame, au 4ème vers du poème Présentation de Paris à Notre Dame :
Voici le quai du Louvre, et l'écluse, et le bief.
On ne pouvait rêver référence plus inspirée …
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Jean-Pierre Duquesne.
Le barrage écluse, gravure fin 19ième (Auguste Vitu). Doc. Christian Chevalier
1- On appelle remonte la navigation d'aval en amont.
2- On appelle pertuis le détroit entre une île et le continent ou entre deux îles. Il s'agit ici du petit bras de la Seine entre l'île de la Cité et la rive gauche de la Seine.
3- On appelle musoir la pointe d'une jetée ou d'un môle, ou encore l'extrémité d'un quai à l'entrée d'un bassin.