7 Les tribulations d’un académicien otage des Prussiens
Rien a priori ne donne à penser que la dernière séance de l'année 1870 dérogera au déroulé bien rôdé des réunions hebdomadaires. Ce 26 décembre 1870, elle s'ouvre d'ailleurs comme à l'ordinaire par l'approbation du procès-verbal de la semaine précédente. C'est à ce moment précis que l'imprévu arrive. Avant de passer à l'ordre du jour, son président, le mathématicien Joseph Liouville, se lève pour lire une déclaration solennelle. Citons-la in extenso, puisque c’est la seule fois que le sujet sera officiellement évoqué devant la docte assemblée :
« L'Académie a appris, par les récits des journaux, l'arrestation récente de notre excellent confrère, M. P. Thenard, qui aurait été envoyé à Brême par les ordres des généraux prussiens. Si M. Thenard a été pris les armes à la main, en défendant son pays, nous n'avons qu'à l'en estimer encore davantage et à nous incliner devant le sort des armes qui aurait trahi son courage ; mais si le seul motif de cette mesure est la fortune connue de M. Thenard, et son titre de savant distingué et de membre de l'Académie des sciences, alors je n'hésite pas à dire qu'une pareille arrestation serait tout simplement une infamie, dont chacun de nous devrait se souvenir jusqu'à sa dernière heure, et dont un jour ou l'autre la justice divine saurait punir les auteurs ».
L'émotion est à son comble sur les banquettes de velours et Liouville n'a aucun mal à faire approuver à l'unanimité que ces paroles « seraient insérées au compte rendu de la séance ».
En fait l'événement remonte à plusieurs semaines. Les pigeons voyageurs et la poste par ballon monté ont beau rendre de grands services, la communication entre la capitale et le reste du pays demeure soumise à beaucoup d'aléas. Quant au télégraphe il est réservé aux autorités civiles et militaires. L'information circule mal, ou lentement, et le plus souvent les deux à la fois, et les nouvelles diffusées dans la presse parisienne le sont avec retard.
Mais de quoi et de qui s'agit-il ?
Œil pour œil, dent pour dent
La guerre franco-prussienne fut une guerre terrestre. Seule incursion française sur les mers, une tentative de blocus du port de Wilhelmshaven, en mer du Nord, est lancée pendant l'été 1870, mais échoue, la marine française n'étant pas suffisamment équipée pour ce type d'opération. De son côté le royaume de Prusse ne se risque pas à engager ses quelques dizaines de navires de guerre aussi loin de leurs bases.
En revanche la France se montre déterminée à user de tous les moyens à sa disposition pour affaiblir son ennemi, et parmi ces moyens figurait à l'époque le « droit de prise », c'est-à-dire la capture, par les navires de guerre de l'un des belligérants, des navires de commerce de l'autre et des marchandises qu'ils transportaient. C'est, en quelque sorte, la version moderne de la « guerre de course » où s'étaient illustrés, les siècles précédents, maints marins audacieux, les fameux corsaires.
Certes une Déclaration internationale, signée à Paris le 16 avril 1856 à l'occasion du traité mettant fin à la guerre de Crimée, avait en principe aboli cette pratique et jeté les bases d'un nouveau droit maritime protégeant les flottes de commerce en temps de guerre. Mais, comme souvent lorsqu'il faut trouver des compromis, les clauses avaient été rédigées d'une manière assez vague pour que chacun y trouve son compte, si bien que, le moment venu, les signataires allaient en faire des lectures bien différentes.
Quatre-vingt-dix navires prussiens sont ainsi pris par la marine française, et, dans environ un cas sur deux, leurs capitaines retenus prisonniers. Ainsi le capitaine du Lanaï, bateau dirigé le 6 août sur Brest, et celui du Pfeil, vapeur dirigé le 30 août sur Dunkerque, sont-ils tous deux assignés à résidence à Moulins. Au regard de la Déclaration de 1856, et dès lors que les personnes sont traitées avec égards, cela n'est pas illégal, mais Bismarck réalise qu'il tient là un excellent prétexte pour justifier, le moment venu, une action « coup de poing » contre la France. Pour que les formes soient sauves, il commence par la voie diplomatique, en adressant aux autorités françaises des notes virulentes. Celles-ci restant bien entendu sans effet, il décide de passer à la vitesse supérieure. Les événements vont lui fournir le prétexte attendu.
La brigade du général Ketler en marche sur Dijon Gravure Coll. Christian Chevalier, Histoire de la guerre de 1870-71, L. Rousset.
A l'automne, la déroute des armées françaises est complète et une bonne partie de la moitié nord de la France est occupée par les Prussiens. Le 29 octobre ils arrivent aux portes de Dijon, qu'ils commencent à bombarder. Le peu de gardes nationaux et de soldats de ligne, qui ne s'étaient pas débandés vers le sud les jours précédents, résistent comme ils peuvent, essayant de riposter. Les forces en présence sont trop inégales et dans la nuit la municipalité se résout à négocier sa reddition. Les conditions sont dures, la ville sera occupée, mais sauvée. Bien entendu, une fois dans la place, les troupes ne respectent que très partiellement l'accord passé, et Dijon est soumise à un pillage en règle. Les caves des habitants sont particulièrement appréciées … Beaucoup de villes de Bourgogne, Franche-Comté ou Lorraine connaissent le même sort, et la population, qui en est rapidement informée, ne reste pas sans réagir. La résistance est vive, notamment en Haute-Saône et en Côte-d'Or, à un point qui finit par irriter le haut commandement prussien. C'est dans ce contexte et à ce moment précis que se situe l'initiative de Bismarck.
Accusant la France de traiter comme prisonniers de guerre les capitaines des quarante navires marchands allemands saisis, et qui plus est de mal les traiter, la Prusse va, en guise de représailles, se saisir de quarante ressortissants français dans cette province de Bourgogne qui se révèle particulièrement indocile à l'occupant. On n'est à l'évidence plus du tout dans le cadre de la Déclaration de 1856, et le procédé relève tout bonnement de la prise d'otages. Pour mieux frapper les esprits, Bismarck ne les choisit pas au hasard. Le critère retenu n'est pas seulement le degré de fortune, mais tout autant l'influence politique ou intellectuelle : il faut frapper l'élite du pays vaincu. Il ordonne aux autorités locales de désigner vingt notables à Dijon, dix à Gray et dix à Vesoul, pour les transporter à Brême, où ils resteront internés jusqu'à nouvel ordre. Parmi eux se trouve un jeune professeur de littérature étrangère à la faculté des lettres de Dijon, Charles Julien Jeannel, qui tiendra une sorte de journal qu'il publie à son retour et dont s'inspire l'essentiel de notre récit.
Parmi eux aussi, une personnalité mi parisienne mi bourguignonne, le baron Thenard, habitant du VIe arrondissement, membre de l'Académie des sciences et homme politique.
Un « fils de » qui s'est fait un nom
Arnould Paul Edmond Thenard naît le 5 décembre 1819, dans l'ancien Xe arrondissement de Paris, 42 rue de Grenelle, dans l'immeuble de ses grands-parents maternels. Déclaré sous trois prénoms, on lui a attribué parfois celui d'Arnould, plus souvent celui de Paul : nous retiendrons ce dernier pour la suite du récit. C'est le fils aîné du grand chimiste Louis Jacques Thenard, inventeur, entre autres, de l'eau oxygénée et du colorant à base de cobalt qui porte son nom, le « bleu Thenard ». Comme son père, et sans doute sous son influence, il s'intéresse à la chimie et entre, probablement avec son appui, comme préparateur de chimie au Collège de France.
Arnould Paul Edmond Thenard et Louis jacques Thenard. Appartient à la collection de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale
Il passe ses vacances en Saône-et-Loire, au château familial de La Ferté, sur la commune de Saint-Ambreuil. Il y rencontre une jeune voisine, Fanny Derrion-Duplan. Née en 1823 à Lyon, ayant perdu sa mère à la naissance, elle a été élevée par une tante maternelle, Jeanne Floret, qui réside à Givry, commune viticole proche de Saint-Ambreuil, en Saône-et-Loire. Le 24 octobre 1842, les jeunes gens se marient à Givry où, un an plus tard, le 4 août 1843, naît un garçon, Arnould Eugène Georges : ce sera leur seul enfant.
En 1847, Fanny hérite la totalité des biens de son oncle maternel, Auguste Floret, décédé sans descendance. L'essentiel de la succession est représenté par l'ancienne terre seigneuriale de Talmay, petite localité de Côte-d'Or, à l'est de Dijon, sur la route de Gray. Dès lors, Paul Thenard partage son temps entre Paris, où il réside dans l'immeuble familial du 6 place Saint-Sulpice, et Talmay, sans négliger pour autant Givry. Cet ancrage dans une province rurale oriente son activité scientifique vers l'agriculture et la chimie agricole, où il acquiert une renommée certaine qui lui ouvre le 15 février 1864 les portes de l'Académie des sciences, dans la section d'économie rurale, puis en 1881 celles de l'Académie d'agriculture. Il publie beaucoup, dans diverses revues, et ses communications ne sont pas rares dans les comptes rendus de l'Académie des Sciences. Dès 1847, par décret du 9 avril, il est nommé chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur : reconnaissance rapide, puisqu'il n'a que 29 ans. Il sera également décoré de l'Ordre de la Conception du Portugal.
Sa notoriété, s'appuyant sur celle de son père, le conduit vers la politique. De 1852 à 1856 il représente le canton de Pontailler, dont dépend Talmay, au conseil d'arrondissement de Dijon, puis est conseiller général de la Côte-d'Or de 1856 à 1871. Parallèlement il est maire de Talmay de 1852 à 1866. Ses réalisations comme édile sont nombreuses. En plein développement du chemin de fer, il décide l'implantation d'une gare à proximité du village, sur la ligne reliant Auxonne à Gray. Il perce des rues, améliore le tracé de la route départementale à l'entrée de la commune, crée une route pour desservir le port Saint-Pierre sur la Vingeanne, le petit affluent de la Saône qui longe la commune. En 1854, il organise la protection contre l'épidémie de choléra. En 1864, il veille à l'abondance des secours distribués aux victimes d'un incendie. Il fait construire une ferme modèle et encourage la mécanisation agricole, encore peu répandue, le drainage systématique et le recours aux engrais chimiques.
Engagé dans la vie publique locale, il comprend également l'intérêt de pouvoir s'appuyer sur un organe de presse. Dans ce but, associé à un imprimeur, Eugène Jobard, il fonde en 1854 Le Moniteur de la Côte d'Or, journal officiel de la Préfecture qui bénéficie du privilège de la publication des annonces légales.
Le blocus de la capitale le surprend en Bourgogne, où, comme chaque année, la saison des vendanges mobilise les propriétaires de vignobles. Ceux de Givry produisent un vin réputé, et le baron se doit d'être présent pour superviser les vendanges et l'activité de ses chais. D'ordinaire, une fois la récolte terminée et le processus de vinification lancé, il a coutume de regagner Paris pour l'hiver avec sa famille, mais cet automne 1870, le voici bloqué à Talmay, où, les vendanges de Givry terminées, il s'est installé en attendant que la situation évolue. Elle va en effet évoluer, mais d'une manière bien différente de celle qu'il espérait.
Car le voilà prisonnier des Prussiens !
Château de Talmay, carte postale.
Une odyssée de douze jours
Bismarck a donc décidé de prendre quarante otages dans cette province rebelle. On commence par ceux de Dijon. Les vingt malchanceux sont rassemblés le 1er décembre en début d'après-midi, à la mairie. Croyant, ou feignant de croire, leur être agréable, on leur annonce qu'ils seront conduits à Brême « par un homme qui appartient à la plus haute aristocratie allemande, le comte von Rantzau. Vous serez en très bonne compagnie ». A quoi l'un d'eux rétorque avec panache : « Pardon, Monsieur, c'est lui qui sera en bonne compagnie ». Il leur est également indiqué qu'en guise d'indemnisation pour la privation de leur liberté, leurs maisons seront exemptes de l'obligation de loger des troupes pendant la durée de leur séjour en Allemagne. Puis chacun est renvoyé chez soi, pour la nuit.
Le départ est fixé au lendemain matin 2 décembre. Pour éviter que le passage d'un convoi ne suscite dans la population des réactions hostiles, il est décidé qu'un véhicule différent passera chercher chacun avec ses bagages, le rassemblement devant se faire discrètement à l'extérieur, dans une localité voisine. Il semble que l'opération n'ait pas été préparée avec soin, car le poste militaire prussien qui occupait les locaux d'octroi à la sortie de la ville, faute d'avoir été prévenu, refuse de laisser passer ces étranges voyageurs qui se succèdent, munis de nombreux bagages. Au bout d'un moment, on les ramène même au centre de la ville. On avait voulu une sortie discrète, on obtient l'effet inverse. Des attroupements se forment et von Rantzau, furieux, doit faire donner la cavalerie pour les disperser. On peut enfin repartir, en convoi cette fois, et dûment escorté.
Convoi certes, mais bien hétéroclite. On a pris les véhicules qu'on a pu trouver : un fiacre, des omnibus de toutes tailles, prélevés sur ceux qui d'ordinaire assurent le service de la gare aux hôtels, une diligence, une voiture légère à deux chevaux, un omnibus de chasse à trois chevaux de front.
Portrait de Paul Thenard, propriété du château de Talmay. Photographie G. Emptoz, S.E.I.N.
Après avoir traversé des villages abandonnés par leurs habitants et présentant tous les stigmates d'un pillage en règle, on arrive à Gray à la nuit tombée. On a parcouru tout juste cinquante kilomètres. Avertie, et pour cause, puisque dix nouveaux otages y ont également été désignés, la municipalité a préparé un dîner copieux et le gîte pour chacun. En dépit des circonstances il paraît que « le dîner fut gai, la conversation s'anima ». Otages dijonnais et habitants graylois se racontent mutuellement la manière dont les choses se sont passées de part et d'autre. Les otages graylois, eux, ne sont pas là, car on les a déjà fait partir, on les rejoindra un peu plus loin. Parmi eux, il y a le sous-préfet, « en punition de son langage patriote et républicain ». Il y a aussi P. Thenard « qui avait vu son château de Talmay cerné par un détachement de cavalerie dont le commandant lui avait refusé même le temps de faire sa barbe ». Les autres, d'après ce qui se dit, n'auraient dû leur présence sur la liste qu'à « de petites intrigues, des rancunes mesquines et des querelles de clocher ». Pour la nuit, la sous-préfecture a été transformée en dortoir.
Le lendemain 3 décembre, le convoi reprend la route, au milieu d'un spectacle de désolation aggravé par l'hiver. Partout, sur le côté, des cadavres de chevaux, des maisons abandonnées. Ici, une affiche annonçant l'exécution de quatre Français « pris les armes à la main sans faire partie de l'armée régulière ». Au loin, dans la direction de Belfort, on distingue le bruit du canon. On croise de plus en plus de troupes prussiennes, qui parfois bloquent le passage, font rebrousser chemin ou imposent un détour. Il se met à neiger, les voitures peinent à avancer. La nuit est bien avancée quand on s'arrête dans le village de Noidans-le-Ferroux, sur la route de Gray à Vesoul. Mauvaise journée, où on n'a progressé que d'une quarantaine de kilomètres. Et mauvaise nuit, où on doit se contenter, en guise de gîte, d'une maison « mi-ferme, mi-auberge », et comme pitance d'« une abominable friture qui écarte du fourneau ceux que le froid y pousse ».
On se lève avec le jour. C'est dimanche : « Dans l'église glacée, où le vent siffle à travers les vitres brisées, le curé dit en frissonnant une messe matinale pour les voyageurs ». Enfin voici Vesoul, où on va passer la nuit de façon plus confortable dans deux hôtels réquisitionnés à cet effet. Ici aussi la municipalité avait dû désigner dix otages qui, comme ceux de Gray, sont déjà partis. Et le voyage reprend, dans le froid et la neige. L'étape de Saint-Loup est appréciée, car M. et Mme de Maillard ouvrent les portes de leur château, où loge déjà un major prussien. La table est copieuse, les lits chauffés. Le trajet se poursuit, vers le nord : on traverse Plombières, puis Épinal. Parfois, quand la pente est trop raide, on quitte les voitures qui patinent sur le verglas et on chemine à pied. Curieusement, nul ne songe à s'échapper, car chacun s'est engagé par écrit sur l'honneur à ne pas chercher à fuir ….
A Charmes, sur la Moselle, les conditions changent du tout au tout, puisqu'on abandonne la route pour le chemin de fer. Ce n'est pas le luxe, on s'entasse dans des wagons de troisième classe, mais au moins on est à l'abri. Le soir du 9 décembre, on entre dans Lunéville, où des billets de logement permettent aux otages dijonnais de passer la nuit chez l'habitant.
C'est là que le 10 décembre les quarante otages sont enfin réunis. On fait connaissance, souvent aussi on se retrouve, car Dijon n'est pas si loin de Gray, ni Gray de Vesoul. Le train est rempli de prisonniers français et de soldats allemands malades qui sont rapatriés. Les officiers français racontent avec amertume Metz et Sedan. Les gares se succèdent, Sarrebourg, puis Saverne où, malgré le cordon formé par les soldats prussiens pour empêcher la population d'approcher, des enfants réussissent à se faufiler pour offrir, de la part de leurs parents restés à l'écart, l'un des pralines, l'autre des macarons. Et puis, Strasbourg, où on a réquisitionné pour les otages l'hôtel de la Maison Rouge.
On repart, et bientôt on quitte la France. L'étape de Mannheim marque les esprits : « pour la première fois nous dormons, ou plutôt nous ne dormons pas, dans des lits allemands ». Les otages ont des billets de logement, par groupes de cinq ou six, dans des hôtels « qui ne sont que des auberges avec des enseignes fort mêlées de bêtes et de couleurs : le Mouton vert, l'Oie rouge, le Tigre bleu ». Au rez-de-chaussée, une brasserie « où l'on boit, fume et mange pêle-mêle à toute heure. Les chopes, les charcuteries, la pipe, et les naturels exhalent un brouillard chaud et nauséabond, qui affecte à la fois les yeux, la gorge et le nez ». Nous voici édifiés, mais ce n'est pas terminé. La description des chambres est à l'avenant : « Il y a là de quoi expliquer tous les cauchemars de la poésie et de la philosophie d'outre-Rhin ». Et, après avoir éprouvé l'inconfort du lit, notre chroniqueur conclut avec ironie : « Ce qui est inexplicable, c'est qu'ils aient tant d'enfants ».
Ensuite, ce sont Darmstadt, Francfort, Cassel, Hanovre. On a le temps de visiter. Notre chroniqueur n'est guère tendre pour ce qu'il observe, architecture, monuments, habitants, rien ou presque ne trouve grâce à ses yeux. Vu les circonstances, on peut le comprendre.
Le 14 décembre enfin, on entre en gare de Brême, où une salle avait été réquisitionnée et fermée au public pour recevoir ces hôtes français un peu particuliers. L'accueil est assuré par le colonel commandant la place, un dénommé Bruggemann, qui, après les avoir assurés qu'ils jouiront d'une « liberté absolue », en fixe aussitôt les limites : notification aux autorités des lieux de résidence et, le cas échéant, des changements ultérieurs, appels hebdomadaires, contrôle du courrier avant envoi, interdiction de parler ni d'écrire sur la guerre ou sur des sujets politiques, interdiction de tout contact avec aucun officier ou soldat français belligérant. Sous ces réserves, auxquelles il fallait souscrire par écrit, chacun était libre de ses mouvements …. A défaut de signature, ce serait l'emprisonnement dans une forteresse. Chacun signe. Dernier détail, les otages devront assumer le coût de leur logement, de leur nourriture et plus généralement de leur quotidien. S'ils n'y parvenaient pas, ce serait un cas d'emprisonnement. Le colonel prend congé. Et c'est sous une pluie glaciale qu'ils rejoignent les deux hôtels, l'hôtel du Nord et l'hôtel de l'Europe, où ils sont regroupés provisoirement, en attendant qu'ils prennent d'autres dispositions. Une page se tourne.
Une rétention de trois mois
Arrêtons-nous un instant et essayons de nous représenter ces hommes, brutalement arrachés à leurs familles et à leur pays. Ce sont, pour la plupart, des notables : conseiller général ou d'arrondissement, maire, sous-préfet, magistrat, avocat, professeur, banquier, industriel, négociant, agriculteur, gens de fortunes et de positions fort diverses, tous, sans doute, ont joui jusque-là d'une vie matérielle aisée, avec des demeures dotées du meilleur confort de l'époque et bien fournies en domestiques. Du jour au lendemain, les voilà chahutés dans des voitures branlantes, exposés au froid de l'hiver, ignorant le matin où ils dormiront le soir et s'ils mangeront à leur faim, entourés d'une soldatesque a priori hostile, exposés à une promiscuité à laquelle aucun n'était préparé. Cela aurait pu très mal se passer. Or, si l'on accorde du crédit au témoignage de Jeannel, il semble au contraire que ces quarante hommes aient réussi à former une petite communauté soudée par l'infortune, où chacun avait à cœur de ne pas ajouter à la dureté de la situation par des querelles de préséance ou d'ego. Même en faisant la part des choses et en se souvenant que ce récit a été rédigé pour être publié et témoigner ainsi de la noblesse des Français face à la barbarie des Allemands, il n'y a pas de raison de mettre en doute la véracité de la relation qui nous est faite.
La première démarche de nos otages une fois installés dans leurs deux hôtels est de courir à la poste chercher les lettres envoyées par leurs proches. Puis le lendemain « chacun cherche à s'installer selon ses goûts et ses moyens ». En fait le plus grand nombre restera à l'hôtel de l'Europe, qui devient de fait le point de ralliement de la petite colonie. La population chercha dans un premier temps à exploiter la situation à son profit en leur vendant ses services au prix fort : la propagande avait en effet répandu l'idée que les otages avaient été choisis en raison de leur richesse, et ce que l'on réussirait à tirer d'eux était censé compenser la perte subie par le commerce local suite à l'arraisonnement des navires brêmois par les Français. La raison finit par l'emporter et des arrangements honorables sont trouvés pour le logement, la nourriture, le chauffage et « l'on parvint à vivre assez mal pour huit ou deux francs par jour ».
En fait le nombre de personnes concernées excèdent les quarante, car certains sont accompagnés de leurs femmes qui ont souhaité partager leur sort. C'est justement le cas de la baronne Thenard.
Leur arrivée n'est pas non plus passée inaperçue des officiers français prisonniers depuis déjà six semaines à Brême et pour qui la compagnie de nouveaux compagnons d'infortune parlant leur langue apparaît comme une bénédiction. Au fil des jours les liens d'estime entre les deux groupes se renforcent. Les officiers ont loué une salle de brasserie et y ont fondé un cercle où ils accueillent volontiers les nouveaux venus. Ceux-ci semblent apprécier la dignité de leurs compagnons, qu'ils opposent aux excès auxquels se livrent en France leurs homologues allemands : « La différence entre les mœurs des vainqueurs à Dijon et des vaincus à Brême n'est pas en faveur des premiers ». Les otages s'intéressent également au sort des soldats et sous-officiers français emprisonnés dans une caserne de la ville, qui ont droit à beaucoup moins d'égards que leurs officiers. Et là le baron Thenard va se distinguer par son sens de l'organisation, son efficacité et aussi, chose peut-être plus inattendue de la part d'un homme élevé au sein de la grande bourgeoisie, son attention aux plus démunis.
On peut imaginer qu'il avait déjà pris de l'ascendant sur ses compagnons au cours du voyage et qu'en arrivant à Brême il en était devenu une sorte de porte-parole reconnu par ses pairs. En tout cas c'est à lui que les officiers français vont très vite proposer de présider leur cercle, baptisé Cercle français. Pour Noël il fait porter à la caserne un veau et une barrique de bon vin. Officiers et otages arrachent aux autorités allemandes l'autorisation d'employer comme brosseurs certains des soldats, leur donnant ainsi l'occasion de s'échapper quelques heures de la caserne. Les soldats originaires d'Afrique du Nord, désignés par Jeannel comme turcos, ayant conservé leurs tenues de toile incapables de les protéger du froid, « les dames qui nous accompagnent » font confectionner des semblants d'uniformes dans de vieux pantalons rouges en drap.
Une vingtaine d'officiers ont également réussi à ouvrir une école à l'intention des sous-officiers ou hommes du rang, avec comme premier objectif de les soustraire à la démoralisation en les occupant. On leur propose des cours de lecture, écriture, orthographe, calcul, géométrie, littérature, histoire, géographie, physique, chimie, hygiène, chant. Jeannel et Thenard ont été associés à ce corps enseignant improvisé, et Thenard complète le programme avec des rudiments d'agriculture et d'économie sociale. Les intéressés assistent nombreux aux cours, et l'assiduité de ces gens simples, qui n'étaient pas forcés d'y venir, a frappé leurs professeurs. Thenard, en particulier, « les fascinait pendant deux heures ». On va même jusqu'à monter une petite troupe de théâtre « dont ils se sont tirés avec goût et succès, malgré l'absence de costumes et surtout d'entrain : car comment rire quand la patrie pleure ? ».
Comme dans toute situation de privation de liberté, le courrier joue un rôle essentiel. On attend les nouvelles de la famille, hélas pas toujours bonnes en ces temps de guerre et de misère. On dévore aussi les dépêches pour essayer de se tenir tant bien que mal informé de l'évolution de la situation militaire et politique en France. Mais rien ne parvient à semer la discorde au sein de la petite communauté d'otages : « Tous sont décidés à ne se séparer point, quoi qu'il arrive, et à ne revenir qu'ensemble, comme ils sont partis ». A la mi-janvier, ils se font photographier ensemble, « afin de garder tous un indissoluble souvenir de ce voyage ». Et quand Bismark se résout à leur accorder pour vivre une indemnité de quarante-cinq francs par mois, Thenard, au nom de tous, lui fait répondre non sans panache : « Vous n'aviez pas le droit de nous prendre, vous n'avez pas le droit de nous payer ». Pourtant les préjugés de classe resurgissent parfois. Apprenant que les Prussiens ont quitté Dijon le 30 décembre et se sont repliés vers le nord, sous la pression des troupes commandées par Garibaldi, Jeannel dit comprendre l'enthousiasme de la population à l'égard des libérateurs, mais ne le partage pas : « Quel intérêt ce chef de bande peut-il avoir à se battre pour nous ? ». Et de conclure sans nuance : « Leur politique, c'est le renversement de tout ordre et de toute police, et leur intérêt le pillage. Notre Bourgogne doit leur plaire ».
Le 21 janvier la petite communauté entend les coups de canon qui célèbrent la proclamation de l'Empire allemand. Brême pavoise, bâtiments officiels et maisons particulières sont tous couverts de drapeaux. A midi les cloches de la ville sonnent à toute volée. Il y a foule dans les rues. A la nuit tombée, c'est l'illumination générale : « Toutes les vitres se sont garnies à l'intérieur de bougies ». Les brasseries et les caves affichent complet et « Brême ingurgite placidement la saucisse et le vin blanc jusqu'au jour ».
Le retour
Le 29 janvier une dépêche arrivée de Berlin annonce la capitulation de Paris, la veille. Puis arrive le texte complet de l'armistice. L'article 1er plonge les otages dans la consternation, car les opérations militaires sur le territoire des départements du Jura, du Doubs et de la Côte d'Or continueront indépendamment de l'armistice jusqu'à ce qu'un accord sur le tracé de la ligne de démarcation dans ces départements soit trouvé. Mais l'espoir renaît avec la lecture de l'article 14 : « Il sera procédé immédiatement à l'échange de tous les prisonniers de guerre. L'échange s'étendra aux prisonniers de condition bourgeoise, tels que les capitaines de navires de la marine allemande et les prisonniers français civils qui ont été internés en Allemagne ».
De fait cinq otages quittent Brême le 10 février pour être échangés à Amiens contre cinq capitaines. Les jours qui suivent mettent les nerfs des trente-cinq autres à rude épreuve « Nos derniers jours à Brême sont les plus tristes. Espoir chaque jour déçu d'être rendu à la liberté, nouvelles inquiétantes, détails affreux sur les dernières convulsions de la patrie expirante, insultée en grand et en détail dans son agonie par l'odieux vainqueur ». Depuis la défaite de la France, ils subissent au restaurant de l'hôtel les insultes de certains clients allemands, civils ou militaires. Le 24 février enfin, les passeports sont distribués. Solidaires jusqu'au bout des soldats prisonniers qui attendent encore leur libération, ils vont les saluer et emportent des paquets de lettres pour leurs familles. Ils prennent congé de leurs compagnons officiers qui les conduisent à la gare.
À Cologne, le groupe se sépare en deux, les uns rejoignant par Strasbourg, les autres par Bâle. Le baron Thenard, pour sa part, rentre par Bruxelles, d'où il regagne Talmay, avant de rejoindre Paris.
Hommages et polémiques
Dans un premier temps Paul Thenard et ses compagnons ne vont pas recevoir l'accueil dont ils avaient peut-être rêvé. En février, avant même leur retour, des rumeurs circulent sur le patriotisme des otages et leur loyauté à l'égard du gouvernement français. On va jusqu'à dénoncer leur supposée répugnance à se conformer aux clauses d'échange d'otages prévues par l'article 14 de la convention signée le 28 janvier 1871. Le 15 février, un journal local, Le Courrier, reprenant une information publiée dans le très respectable Allgemeine Zeitung d'Augsbourg, en rend compte en ces termes : « Il ne paraît pas que les otages de Dijon, Vesoul et Gray soient empressés de se faire échanger contre les capitaines de la marine marchande allemande qui sont prisonniers en France … Ils préfèrent attendre la fin de la guerre, le rétablissement de l'ordre intérieur, et la dispersion de la gent garibaldienne …. Ils ne sont aucunement partisans du gouvernement présent …. Ils déclarent ouvertement haïr Gambetta plus profondément que les Prussiens ». La propagande a toujours trouvé un terreau favorable à son développement dans les périodes de trouble, et certains avaient manifestement intérêt à saper l'autorité des autorités françaises, au moment où les institutions du pays n'étaient pas stabilisées. Il est vrai que la plupart des otages ne cachent pas leurs réserves à l'égard du gouvernement républicain ni leur hostilité ouverte aux idées qui vont bientôt donner naissance à la Commune et dont ils avaient connaissance par les dépêches ou le courrier qu'ils recevaient de leurs familles.
Joseph Magnin, photographie de E. Maunoury, Parismuséescollections
Dès le lendemain, Jeannel envoie une lettre de protestation à la rédaction du journal, imité le 17 par dix autres otages. Et le même jour Thenard réagit à son tour, n'hésitant pas à faire un éloge appuyé de Garibaldi sur lequel, un mois plus tôt, il avait émis les plus vives critiques : « En réponse à votre article en date du 15 sur les otages français retenus à Brême, dans lequel vous avancez que, loin de vouloir leur liberté, ils sont heureux d'être retenus, afin de gagner assez de temps pour voir venir les événements, m'associant d'ailleurs à la protestation du docteur Jeannel, j'ai l'honneur de vous déclarer que mon plus grand regret est de ne pas m'être trouvé en temps opportun dans mon pays (la Côte-d'Or) afin de voter pour Garibaldi, le vaillant et heureux défenseur de la Bourgogne, et pour M. Magnin, le ministre habile qui a si heureusement coopéré à prolonger la résistance de Paris. J'ajoute que mon plus grand désir est de quitter l'Allemagne et de regagner la France qui a besoin du concours de tous ses enfants ».
Il en va différemment du côté de l'Académie des sciences, avec laquelle il semble avoir réussi à entretenir une correspondance. Son président ouvre la séance du 6 mars par la lecture d'une lettre qu'il venait de recevoir du baron : « Après la marque de haut intérêt qu'a daigné me donner l'Académie, je crois qu'elle apprendra avec satisfaction que j'ai quitté Brême le 25 février, et suis arrivé à Bruxelles le 26 au soir. Sans que je le dise, l'Académie comprendra le motif qui me fait remettre à quelques jours mon retour à Paris, et retarder ainsi l'instant où j'irai moi-même remercier mes confrères. Veuillez, en attendant, leur renouveler l'expression de toute ma gratitude, et agréer pour vous-même l'assurance de ma plus haute considération ».
Le 20 mars, il reprend place parmi ses collègues et, au début de la séance, leur fait la déclaration suivante : « Depuis le jour de ma libération, mon plus ardent désir est de venir apporter à l'Institut l'expression de ma profonde reconnaissance pour la protestation faite, en termes si élevés et si flatteurs, par un de nos plus illustres confrères, à l'occasion de ma capture par les Allemands et de mon internement à Brême. Ce qui a le plus frappé, c'est que ceux qui faisaient cette protestation souffraient eux-mêmes des rigueurs d'un siège déjà très long, qui non seulement menaçait leurs personnes et leurs familles, mais détruisaient encore quelques-unes de nos collections scientifiques les plus précieuses. Que l'Académie daigne accepter l'expression de ma profonde gratitude ». Et l'on passe à l'ordre du jour. Sans doute un mot de bienvenue lui fut-il adressé, mais le procès-verbal n'en garde pas trace.
À vrai dire l'émotion soulevée par cet épisode ne semble pas avoir franchi les murs du quai de Conti. Victor Hugo n'en souffle mot dans Choses vues, pas plus qu'Edmond de Goncourt dans son Journal. Bien qu'ayant une résidence parisienne, Thenard restait une notabilité provinciale.
Le retour à la vie normale
Les trois mois de résidence contrainte à Brême n'ont pas entamé son esprit d'entreprise et les années qui suivent le voient développer une intense activité dans la politique, la presse et les recherches agronomiques.
Les événements sanglants du printemps 1871 ont renforcé son goût pour l'ordre. Quand de nouvelles élections sont organisées en 1877 après que le président Mac-Mahon eut dissous la chambre élue l'année précédente, faute d'en obtenir le soutien au gouvernement modéré qu'il avait nommé, Thenard décide de se porter candidat pour défendre les idées conservatrices. Il choisit de se présenter non en Côte-d'Or, où sa carrière politique s'était déroulée sous le Second Empire, mais en Saône-et-Loire, où se trouvent à la fois le château maternel de la Fère et les vignobles de sa femme à Givry. Dans la 1ère circonscription de l'arrondissement de Chalon-sur-Saône, il sera le candidat « officiel », c'est-à-dire soutenu par le gouvernement sortant de droite dirigé par Albert de Broglie. La campagne électorale commence le 19 septembre. Face à lui, un républicain très marqué à gauche, solidement implanté dans le pays, Charles Boysset : nommé maire de Chalon le 4 septembre 1870 après la chute de l'Empire, il est député du département depuis les élections de juillet 1871, après l'avoir été une première fois sous la IIe République comme représentant de l'extrême gauche. Arrêté après le coup d'état du 2 décembre 1851, il avait été exilé jusqu'en 1867. Autant dire que Thenard affronte un redoutable adversaire, député sortant, maire en exercice, et probablement beaucoup mieux préparé aux joutes électorales. Ses chances sont faibles. Il est battu le 14 octobre, n'obtenant que 4 307 voix contre 12 022 à son adversaire. Ce sera sa dernière tentative en politique.
Plus réussie sera son incursion dans le monde de la presse. Depuis 1854, Le Moniteur de la Côte d'Or a grandi. : affranchi de la tutelle préfectorale en 1867 à la faveur de l'assouplissement relatif du régime connu (l'Empire autoritaire cédant la place à l'Empire libéral), il devient L'Impartial Bourguignon. Sa fusion un an plus tard avec L'Union Bourguignonne donne naissance à un quotidien ayant pour titre Le Bien Public- L'Union Bourguignonne, puis tout simplement Le Bien Public. En 1872 c'est le premier journal français à publier un supplément hebdomadaire du dimanche. En 1920 la famille Thenard devient seule propriétaire du journal et le reste jusqu'à la fin du XXe siècle. Paul Thenard a donc été à l'origine d'une belle aventure dans le monde de l'information écrite.
Il n'oublie pas pour autant ses activités scientifiques et, là aussi, il lègue à la postérité un héritage appréciable. Il se montre assidu aux séances hebdomadaires de l'Académie des Sciences, dont les comptes rendus mentionnent ses fréquentes communications ou interventions. Très tôt il avait associé son fils à ses travaux, notamment sur le sujet très pointu de la condensation de certains gaz sous l'influence de l'effluve électrique. Mais sa contribution essentielle, qui a eu une portée pratique mondiale, reste la découverte, la mise au point et la diffusion du traitement contre le phylloxera qui commençait à décimer les vignobles, en s'appuyant sur les propriétés du sulfure de carbone. Il est vrai qu'il était directement concerné par le fléau. Dans un autre ordre d'idées, les vétérinaires lui doivent aussi d'avoir fait admettre la science vétérinaire à l'Académie des Sciences aux côtés de la médecine humaine.
Il était rentré de Brême physiquement diminué, et au fil des années ses apparitions à l'Académie se raréfient. Le 8 août 1884 il meurt dans son château de Talmay.
Tel fut le singulier destin d'un homme qui eut sa résidence parisienne au cœur de notre arrondissement, mais dont la vie doit l'essentiel à son enracinement bourguignon.
Selon les biographes de son père, « Paul ne lui a pas apporté la satisfaction qu'il attendait ». Dans sa jeunesse, « Paul se révèle indolent, il passe son baccalauréat avec difficulté ». Il semble aussi qu'« il ne s'est rendu compte que tardivement de l'immensité de la place tenue par son père », provoquant peut-être chez celui-ci une blessure d'amour-propre qui aurait engendré un sentiment de déception. Il ne fait aucun doute que, si Louis-Jacques Thenard, mort en 1857, avait connu les travaux de son fils, s'il l'avait vu entrer à l'Académie des Sciences, s'il avait pu imaginer l'épisode de Brême et son attitude irréprochable en cette circonstance, il aurait révisé son jugement et lui aurait rendu justice.
(À suivre)
Jean-Pierre Duquesne