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SOCIETE HISTORIQUE DU VIe ARRONDISSEMENT

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1870 Le siège de Paris, chronique locale d'un drame national - 5 - Revers militaires, mouvements de rue et élections

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1870

5 - Revers militaires, mouvements de rue et élections

 

Quels qu'aient pu être les efforts de la municipalité pour tenter de soulager les conditions matérielles de vie des Parisiens, et nous avons vu dans la précédente chronique qu'ils furent réels et sincères, le mécontentement s'installe, attisé par les revers successifs des armées françaises. L'automne et l'hiver vont être secoués par des tentatives avortées de soulèvements populaires et ponctués d'élections qui ne résolvent à peu près rien.

Revers militaires ...

Le gouvernement de la Défense nationale avait décidé de rester à Paris, mais, dans l'éventualité, très tôt envisagée, d'un encerclement de la capitale, il avait dès le 12 septembre installé à Tours une délégation gouvernementale dirigée par le ministre de la Justice Adolphe Crémieux. La présence à ses côtés du ministre de la Guerre Léon Gambetta apparut bientôt nécessaire : c'est l'épisode célèbre de son départ en ballon monté (l'Armand-Barbès), le 7 octobre, depuis la place Saint-Pierre, dans le 18ème arrondissement. Gambetta restructure les troupes ayant échappé au désastre de Sedan en trois armées, de la Loire, du Nord et de l'Est. Malheureusement, en dépit de quelques succès, aucune action décisive ne vient infléchir le cours de la guerre.

Les choses ne vont pas mieux autour de Paris. Les tentatives de sorties se succèdent depuis les bastions, notamment au sud (Châtillon, Chevilly) et à l'ouest (Buzenval, Malmaison), mais aucune ne parvient à faire reculer l'ennemi, bien installé sur les hauteurs du Mont-Valérien et de Châtillon, deux positions stratégiques perdues par les Français. Les perspectives d'une levée rapide du siège de Paris s'évanouissent.

 

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Départ de Gambetta en ballon monté, gravure coll. Christian Chevalier

 

… et manifestations sporadiques

Il n'en faut pas plus pour réveiller l'agitation, latente depuis le début du siège. Notre diariste Jacques-Henry Paradis (voir nos précédentes chroniques) note dès le 30 septembre que « les réunions publiques sont toujours de plus en plus animées ». Il affirme que Ledru-Rollin, Blanqui et Félix Piat, les doyens de 1848, et le major Flourens, « excitent les esprits par des discours violents ». Au cœur des discussions, les élections municipales à venir, pour remplacer par des édiles élus ceux nommés à titre provisoire début septembre. La difficulté est d'établir des listes électorales fiables, ce que le Gouvernement provisoire estime ne pas pouvoir réaliser dans les circonstances présentes. Le 5 octobre une manifestation de gardes nationaux de l'est parisien emmenée par Gustave Flourens, blanquiste déterminé, marche sur l'Hôtel-de-Ville pour demander aux autorités, d'une part de renforcer les moyens militaires de nature à lancer des sorties offensives efficaces, d'autre part d'organiser les élections municipales dès le dimanche suivant 9 octobre. Trochu promet les premiers et reporte à des jours meilleurs les secondes. Pour maintenir la pression, une nouvelle manifestation est organisée le samedi 8 octobre ; les cris de Vive Trochu ! se mêlent aux Vive la Commune ! Paradis évalue à environ 5 000 le nombre de personnes rassemblées dont une majorité de curieux.

 

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Gustave Flourens, gravure de J. Robert, coll. Christian Chevalier

 

La population essaie de s'adapter à une situation inédite. Le vendredi 14 octobre Paradis note que « c'est la première fois que les Parisiens voient des pièces d'artilleries alignées dans les allées du jardin du Luxembourg en guise de chaises ». Les fins de semaine, on s'offre une bouffée d'air pur : « Dès 10 heures les Parisiens franchissaient, pour fêter le dimanche, les pont-levis de leurs remparts et s'éparpillaient entre l'enceinte et les forts ». Mais l'inquiétude n'en est pas moins prégnante. Les lundi 24 et mardi 25 octobre on s'effraie devant une aurore boréale : certains croient à un incendie monstrueux, d'autres y voient un présage annonciateur de catastrophes. Les Goncourt en laissent dans leur Journal une évocation des plus colorées : « un ciel de sang, une lueur cerise teignant jusqu'au bleu noir de la nuit, un spectacle étrange de la nature, un de ces prodiges qui troublaient l'antiquité » ; ils ont « entendu certains assurer que c'est la forêt de Bondy qui brûle ». Victor Hugo, redevenu très prosaïque après les expériences spirites de Jersey, n'en souffle mot dans ses Choses vues. Il est vrai qu'au même moment il est très occupé à surveiller les tirages (et les recettes) de la réédition des Châtiments...

Le feu aux poudres

Le jeudi 27 la rumeur se répand de la situation désespérée du maréchal Bazaine retranché dans la place forte de Metz. Le journal Le Combat n'hésite pas à mentionner l'existence de pourparlers pour connaître les conditions d'une reddition. Les démentis pleuvent, sans grand crédit. L'inquiétude grandit parmi les étrangers séjournant à Paris, auxquels les autorités prussiennes installées à Versailles accordent des sauf-conduits pour quitter la capitale. Le 30, la capitulation de Bazaine est officiellement confirmée. Le même jour une sortie lancée au village de Saint-Denis, pourtant bien engagée, se solde par un échec cuisant avec de nombreuses pertes françaises. Et pour faire pleine mesure, il se murmure qu'Adolphe Thiers a sondé Bismarck sur les conditions d'un armistice « qui permettrait de ravitailler la cité et de procéder à l'élection d'une Assemblée nationale constituante ». Il serait à nouveau question de l'abandon de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine.

Or, pour bien comprendre cette période, n'oublions pas que, dans son ensemble, l'opinion publique, toutes tendances confondues, est profondément hostile à l'idée d'une amputation du territoire national. Comment continuer à faire confiance à un gouvernement qu'on soupçonne, à tort ou à raison, de vouloir mettre fin aux hostilités quel que soit le prix à payer ? L'opposition révolutionnaire ne va pas tarder à le faire savoir.

 

Une journée révolutionnaire

Au matin du lundi 31 octobre une foule hétérogène, gardes nationaux, ouvriers, civils de tous bords se regroupe devant l'Hôtel de Ville, bravant la pluie. Des cris hostiles au gouvernement s'élèvent, certains s'approchent dangereusement des grilles. Victor Hugo parle d'« échauffourée ». Dans une démarche d'apaisement le maire, Étienne Arago, convainc Trochu d'organiser au plus tôt des élections municipales pour substituer des édiles élus à ceux nommés début septembre. Une délégation de manifestants est reçue et se déclare satisfaite de cette annonce. La foule commence à se retirer. L'orage semble passé. Il n'en est rien.

 

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Journée du 31 octobre, envahissement de la salle du Conseil, gravure coll. Christian Chevalier

 

Car le Comité central des vingt arrondissements (voir notre chronique n°2), dont les préoccupations inhérentes au siège avaient réduit l'influence auprès de la population, n'entend pas laisser passer cette occasion de rebondir. En début d'après-midi, des groupes se rassemblent à nouveau devant l'Hôtel de Ville, déterminés à en découdre. Le dispositif de garde du bâtiment, l'alerte passée, a été allégé. Il leur est facile de forcer les grilles et de se ruer à l'intérieur. Des gardes nationaux se sont joints à eux. On parle de prononcer la déchéance du gouvernement, de proclamer une Commune insurrectionnelle, de nommer un gouvernement provisoire et même un comité de salut public. Dans la confusion grandissante, Edmond-Alfred Goupil, le commandant de la 115ème compagnie de gardes nationaux du 6ème arrondissement (voir notre chronique n°3), tente sans succès de se faire désigner maire à la place d'Arago. À 16 heures le populaire Gustave Flourens arrive, flanqué des hommes du bataillon de la garde nationale de Belleville, qu'il commande. Il proclame un Comité de salut public, et déclare prisonniers les ministres présents. À 18 heures, c'est Blanqui qui apparaît et d'emblée édicte toute une série de mesures. Dans la soirée tout le monde se retrouve dans la grande salle des délibérations. Trochu, Jules Ferry (préfet de la Seine) et les autres ministres en profitent pour s'échapper. On discute de la formation d'un nouveau gouvernement, on sollicite à trois reprises la participation de Victor Hugo, on lui propose même d'en prendre la tête : « À minuit des gardes nationaux sont venus me chercher pour aller à l'Hôtel de Ville présider, disaient-ils, le nouveau gouvernement ». À chaque fois il refuse : « J'ai répondu que je blâmais énergiquement cette tentative, et j'ai refusé d'aller à l'Hôtel de Ville ». Depuis le 2 décembre 1851, le poète se méfie des coups de force.

La riposte ne va pas tarder. Dans la nuit un bataillon de gardes mobiles bretons, loyaux au gouvernement provisoire, s'introduit. Cela calme les esprits : les enthousiasmes les plus échevelés s'émoussent parfois face à la force. On négocie une issue honorable. Le gouvernement reste en place, les insurgés peuvent se retirer librement. Librement ? Pour peu de temps : le jour levé, revenant sur l'engagement pris quelques heures plus tôt, on arrête les chefs de l'insurrection, du moins ceux qui n'ont pas voulu se mettre à l'abri. Goupil écope de deux ans de prison, mais a été libéré quelques mois plus tard. Arago doit céder son fauteuil de maire à Jules Ferry, sorti renforcé de cette épreuve. Deux scrutins sont décidés dans l'urgence : la population parisienne est appelée le 3 novembre à renouveler par plébiscite sa confiance au gouvernement provisoire, et le 5 à élire une nouvelle municipalité. Si le plébiscite est un succès éclatant pour Trochu et son équipe, les résultats du scrutin municipal mettent en évidence les antagonismes qui conduiront près de cinq mois plus tard à la Commune.

Et notre brave Paradis de conclure ainsi cet épisode dans son journal : « Les Parisiens sont heureux du calme retrouvé et, sans changer leurs habitudes, ils vont, selon l'usage amené par le jour de la Toussaint, rendre visite aux morts, qui sont vraiment bien heureux de ne pas assister à toutes ces misères humaines ».

La nouvelle municipalité du 6ème arrondissement

On peut résumer le résultat des élections pour notre arrondissement par la formule « le changement dans la continuité ». Précisons que cette fois-ci les électeurs sont appelés à choisir un maire et trois adjoints et qu'il s'agit d'élections à deux tours, avec des scrutins distincts pour le maire et pour chacun des adjoints. Est élu au 1er tour celui (ou ceux, dans le cas des adjoints) qui emporte la majorité absolue des voix. Est élu au 2nd tour celui (ou ceux, dans le cas des adjoints, et dans la limite du nombre de sièges à pourvoir) qui emporte le plus de voix.

Rappelons aussi que dans le 6ème arrondissement des changements étaient intervenus à la mi-octobre, dans le cadre d'un jeu de chaises musicales. Un décret du 13 octobre avait nommé Charles Hérisson adjoint au maire de Paris. Le même jour un arrêté lui donnait pour successeur son adjoint, Eugène Robinet. Lequel à son tour était remplacé dans sa fonction d'adjoint du 6ème arrondissement par l'avocat républicain Paul Jozon.

 

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Charles Hérison par JM. Lopez, Photo Parismuseescollections - Eugène Robinet, Photo coll. Sh6

 

Les deux sortants, Robinet et Jozon, présentent leur candidature au poste de maire, ainsi que Hérisson qui souhaite retrouver son siège. D'autres tentent aussi leur chance, tels le médecin Edmond-Alfred Goupil, dont nous avons déjà fait la connaissance comme commandant du 115ème bataillon de gardes nationaux, l'éditeur Georges Masson ou le médecin militaire Rousselle.

L'élection du maire a lieu le 5 novembre. Le résultat est sans appel. Le modéré Hérisson emporte la mairie dès le premier tour à une voix de majorité (6 855 sur 13 708 votants). Robinet et Jozon n'obtiennent respectivement que 216 et 141 voix, devancés par Goupil et ses 511 voix. Mais l'éditeur Georges Masson réalise un très beau score, avec 5 681 voix, pourtant il ne propose pas sa candidature à un poste d'adjoint.

Robinet, au vu de son médiocre résultat pour le poste de maire retire sa candidature à une fonction d'adjoint Nous le retrouverons au moment de la Commune.

 

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L’éditeur Georges Masson

L’élection des adjoints a lieu deux jours plus tard, le 7 novembre. Beaucoup plus serrés que ceux de l'élection du maire, les résultats témoignent de la diversité des opinions dans l'arrondissement, à l'image de sa composition sociologique. Paul Jozon l'emporte haut la main dès le 1er tour, avec 5 311 voix sur 9 795 votants : sa contre-performance à l'élection du maire montre simplement que les électeurs tenaient à retrouver Hérisson comme premier édile de l'arrondissement. Le rejoint également dès le 1er tour Pierre Albert Le Roy qui, sous la Commune se fera appeler Albert Leroy. Professeur agrégé des lettres, il demeurait 40 rue Saint-André-des-Arts, où il est mort en 1879. Les Varlin, Goupil ou Colfavru (commandant le 85ème bataillon de gardes nationaux) ne remportent que quelques centaines de voix chacun. Ils prendront leur revanche dans quelques mois au moment de la Commune.

Deux postes d'adjoints sur trois sont pourvus. Il faut un second vote pour élire le 3ème adjoint, cette fois-ci à la majorité relative. C’est le chimiste alsacien Charles Lauth. Il s'était engagé dans le 19ème bataillon des gardes nationaux commandé par Jean-Maurice Germa. Il a été membre de notre Société historique de 1905 à sa mort en 1913. Une notice biographique lui est consacrée dans le bulletin annuel n° XVI de l'année 1913.

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Charles lauth par Gill, coll. Sh6

 

Tels sont les hommes qui vont désormais organiser la vie quotidienne des habitants de l'arrondissement. Sans doute n'imaginent-ils pas à quel point allaient s'avérer cruelles les semaines à venir, ni le drame politique et humain qui suivit.

(À suivre)

Jean-Pierre Duquesne

  

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