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SOCIETE HISTORIQUE DU VIe ARRONDISSEMENT

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1870 Le siège de Paris, chronique locale d'un drame national - 3 - L'étau se resserre

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1870

3 L'étau se resserre

 

La capitulation impériale et le renouvellement du personnel politique et municipal n'avaient en rien mis fin aux opérations militaires, d'autant plus que le Gouvernement provisoire de la Défense nationale comptait sur un sursaut patriotique pour inverser le cours des événements et que l'opinion publique poussait majoritairement en ce sens. Le ministre des Affaires étrangères, Jules Favre, écrit le 5 septembre aux diplomates français en poste à l'étranger que « nous ne céderons ni un pouce de notre territoire ni une pierre de nos forteresses ». Et Victor Hugo, rentré d'exil le même jour, à qui la foule venue l'acclamer à la gare du Nord réclame un discours, proclame : « Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir ».

 

Le dispositif défensif de la capitale

En dépit de ces déclarations martiales, les armées allemandes poursuivent leur avancée sans rencontrer de résistance majeure. Paris est menacé.

Le 14 septembre, Trochu passe en revue les troupes appelées à défendre la capitale. Un Parisien, Jacques-Henry Paradis, a tenu un journal pendant toute cette période, journal qui a été publié en 1872. C'est un témoignage précieux, auquel nous empruntons maintes citations dans cette chronique. Paradis a assisté à cette revue. Le moins qu'on puisse dire est que ce qu'il a vu ne le conduit pas à un optimisme béat « Au point de vue du nombre, cela était imposant ; mais, au point de vue de la défense, l'aspect était misérable ; l'indiscipline surtout présidait à cette réunion des masses parisiennes ».

Le même jour, le Comité central républicain qui, nous l'avons vu, regroupe les mouvements parisiens socialistes, placarde sur les murs l'Affiche rouge. On y trouve pour l'essentiel une série de propositions pour organiser la ville dans la perspective d'un siège et pour renforcer les effectifs, les missions et l'équipement de la Garde nationale, ainsi qu'un appel à la levée en masse de volontaires affectés à la défense nationale.

Stratégiquement parlant, la défense de Paris repose sur le dispositif conçu par Adolphe Thiers en 1840 pour empêcher l'entrée de troupes ennemies, le souvenir des cosaques bivouaquant dans les jardins des Champs-Élysées en 1815 étant resté dans les mémoires. Il s'agit d'une enceinte fortifiée, dont les boulevards extérieurs actuels suivent le tracé, jalonnée de 94 bastions, elle-même protégée par 16 forts éloignés de quelques kilomètres, principalement à l'est et au sud. On remarque que l'enceinte englobe les communes limitrophes, qui ont été annexées en 1860. Pour assurer l'acheminement et l'approvisionnement des soldats affectés à l'enceinte, on décide la construction d'une ligne de chemin de fer parallèle et reliée aux gares parisiennes. C'est l'origine du « chemin de fer de petite ceinture » qui sera progressivement ouvert au transport des voyageurs et des marchandises, avant d'être désaffecté dans la 2e moitié du XXe siècle. Ce dispositif, censé être invincible, faisait la fierté du maréchal Soult pour qui il allait « faire l'effet de l'océan pour l'Angleterre et des glaces pour la Russie ». Il était d'ailleurs considéré comme tel par les Prussiens, qui choisiront de recourir à d'autres moyens pour parvenir à leurs fins.

 

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Mise en état de défense de l’enceinte de Paris – gravures tirée de « Paris sous les obus », A.-J. Dalsème.

 

Les forces mobilisées

Trochu ne manque pas d'hommes, environ un demi-million, malheureusement de valeur très inégale : lui-même reconnaissait avoir « beaucoup d'hommes, mais peu de soldats ». Les meilleurs, 12 000 marins, sont affectés à la défense des forts. On verra que la tactique de l'ennemi les réduira pourtant le plus souvent à un rôle de figuration. Par ailleurs une partie des troupes repliées du front de l'est sur la région parisienne est organisée en compagnies, mais ces unités nouvelles manquent de cohésion et d'un commandement efficace.

Il y a aussi la Garde nationale mobile, environ 115 000 hommes. Ce ne sont pas des militaires de carrière. Tirés au sort dans tous les départements pour venir participer à la défense de la capitale, ils sont totalement inexpérimentés. Beaucoup ne parlent que le patois de leur province, qu'ils n'ont généralement jamais quittée auparavant. Dans son journal, Paradis dit de ces troupes « mal armées et misérablement vêtues » que « leur vue inspire la pitié, et chacun se demande si, pour Paris, ces nouveaux venus ne sont pas plutôt des bouches inutiles que des défenseurs ». Difficile dans ces conditions pour le commandement de constituer des unités combattantes rapidement opérationnelles.

Il y a enfin la Garde nationale parisienne. Rappelons que cette institution date de la Révolution française. C'était à l'origine une milice citoyenne créée après la prise de la Bastille et rassemblant les milices bourgeoises apparues spontanément lors du renvoi de Necker le 11 juillet 1789. Elle était destinée au maintien de l'ordre et à la sécurité intérieure et placée sous l'autorité de la municipalité. Tous les régimes l'ont maintenue, quitte à la mettre en sommeil, notamment sous le règne de Charles X, entre 1827 et 1830. Il lui est arrivé d'être utilisée pour réprimer les mouvements populaires jugés séditieux, mais à l'inverse elle a parfois refusé d'intervenir contre eux, quand elle ne s'est pas carrément engagée à leurs côtés. Au moment du déclenchement de la guerre de 1870, elle fut mobilisée, mais, mal préparée et guère employée, elle fut incorporée à la fin du mois d'août dans l'armée active sous la forme de régiments d'infanterie de réserve.

L'une des premières mesures du Gouvernement provisoire est, le 6 septembre, de mobiliser dans la Garde nationale tous les électeurs inscrits de la ville de Paris pour la durée de la guerre. En tenant compte des mobilisations antérieures, ce sont au total 180 000 hommes qui viennent à Paris en renfort de l'armée régulière. Placés sous l’autorité de Gambetta, ministre de l'Intérieur, ils sont organisés en 120 bataillons de chacun 1 500 hommes. Ce sont les maires d'arrondissement qui sont chargés de l'inscription, du recrutement, de l'armement et du paiement de la solde. Ils reçoivent une solde de 1,60 franc par jour, majorée de 0,75 francs s'ils sont mariés, et encore de 0,25 franc par enfant à charge.

 

La garde nationale dans le 6e arrondissement

En application d'une loi votée le 2 septembre 1870, l'une des dernières du régime impérial, confirmée par une circulaire du 6 septembre, les gardes élisent leurs officiers, sous-officiers et caporaux, et les officiers leur commandant. De ce fait les bataillons sont très représentatifs de la population dont ils émanent et il n'y a rien d'étonnant à ce que, selon les quartiers, on trouve parmi les officiers des membres de la bourgeoisie, grande ou petite, ou au contraire des militants très engagés dans les organisations populaires : clubs, chambres syndicales, sections de l’Internationale. Cela ne sera pas sans conséquences au moment des événements à venir. La différence des origines transparaît aussi dans l'habillement. Les bourgeois revêtent un semblant d'uniforme, les autres improvisent une tenue de fantaisie. Hérisson, le maire du 6e arrondissement, s'en est fait l'écho en ces termes : « On cousait une bande de drap rouge à son pantalon, une douzaine de boutons blancs à une vareuse ou un veston, on se coiffait d'un képi de trente sous, on abattait ses favoris, et on était soldat, défenseur de la Patrie ». Dans l'ensemble leur rôle dans la défense de la capitale ne répondra pas aux attentes des autorités.

 

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La garde nationale dans le 6e arrondissement. Gravure tirée de « Het BelegerdeParijs », Gerard Keller

 

Pour sa part le 6e arrondissement constitue huit bataillons, les 18e, 19e, 83e, 84e, 85e, 115e, 193e et 249e. Comme ailleurs leurs chefs de bataillon reflètent la variété sociologique de l'arrondissement : d'un côté, les modérés ou, si l'on préfère, les tenants de l'ordre, fût-il républicain ; de l'autre, les progressistes, qu'on retrouvera dans quelques mois dans les rangs des Communards. Voici un rapide portrait des uns et des autres.

 

Les modérés

À la tête du 18e bataillon est élu Edmond Richard-Bérenger, demeurant 29 quai Voltaire. Né Edmond Richard en 1822 à Mens, dans le département de l'Isère, il obtient en 1855 d'ajouter à son patronyme celui de sa femme, petite-fille du comte Jean Bérenger, personnalité politique influente sous l'Empire et la Restauration, qu'il avait épousée en 1854, et c'est ainsi qu'il sera désormais nommé. Fils d'avocat, il mène de front une carrière dans les affaires, une activité politique et sa mission de garde nationale qu'il exerce depuis février 1848. Garde national, il se trouve plongé au cœur des émeutes ouvrières de juin 1848 et participe à l'enlèvement de plusieurs barricades, dont celles dressées place du Petit-Pont (au débouché sur les quais de la rue du même nom, dans le prolongement de la rue Saint-Jacques) et rue de la Parcheminerie (derrière l'église Saint-Séverin, entre les rues de La Harpe et Saint-Jacques). Le régime impérial s'en souviendra et il sera promu capitaine d'état-major en 1855, puis en 1858 chef du 18e bataillon du 10e régiment de Paris. En 1859 il est élu conseiller général de l'Isère. Il est par ailleurs administrateur de la Caisse d'Épargne de Paris dont il deviendra ultérieurement le directeur. Le 4 septembre 1870, le 18e bataillon reçoit la mission de protéger l'accès au Palais-Bourbon par la cour d'honneur. Mission réussie, puisque la foule y pénètre par les quais, dont la défense avait été confiée à une autre unité. Ce qui pouvait apparaître comme une marque de loyalisme à l'égard du régime impérial déchu ne l'empêche pas deux jours plus tard d'être élu à l'unanimité capitaine de la 18e compagnie de gardes nationales récemment créée, preuve de l'estime de ses hommes. Nous le retrouverons par la suite.

Né en 1827 à Saint-Pons, dans l'Hérault, Jean-Maurice Germa, demeurant 84 rue d'Assas, est un militaire de carrière. Il reçoit en 1861 la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Il est donc assez naturel de le voir recevoir le commandement du 19e bataillon. Le Journal officiel du 10 décembre 1870 nous apprend qu'il est alors nommé chef du 10e régiment de guerre de la garde nationale de la Seine, avec le grade de lieutenant-colonel. À ce moment en effet l'état-major décide de resserrer le commandement des troupes chargées de la défense de Paris en créant des régiments composés chacun de quatre bataillons.Le sien regroupe les 18e, 19e, 84e et 85e bataillons. Il est promu officier de la Légion d'honneur en août 1871 (date à laquelle il est désormais domicilié 35 rue Cassette) et meurt en 1886.

Peu d'informations également concernant le commandant du 84e bataillon, Léon Audbourg. Né en 1829 à Paris dans l'ancien 11e arrondissement (approximativement l'actuel 6e), c'est lui aussi un militaire de carrière, capitaine d'infanterie à la chute du SecondEmpire, décoré de la Légion d'honneur le 14 août 1865. Au moment du siège il demeure 59 rue de Rennes. On le retrouve plus tard exerçant le métier de « financier ». Il habite ensuite 3 quai Voltaire, puis 10 place de la Bourse vers la fin du siècle. Il meurt en 1897 à Saint-Brice, dans la banlieue de Provins. De son parcours il fait peu de doute qu'il soit nettement resté du côté des modérés.

Jules-Maurice Bixio est né en 1836 à Paris, dans l'île Saint-Louis. Il fait ses humanités au collège Sainte-Barbe, puis entreprend des études d'ingénieur à l'École des mines. Il change d'orientation à la mort de son père en 1865. Celui-ci, docteur en médecine, avait en effet fondé une maison d'édition consacrée à l'agronomie, sa passion, la Librairie agricole de la Maison rustique, 26 rue Jacob, et Jules-Maurice lui succède tout naturellement à la tête de l'entreprise. Doué pour les affaires, il prend également en 1868 la direction de la Compagnie générale des Voitures à Paris, société préfigurant les grandes compagnies de taxis modernes, et l'assurera jusqu'à sa mort. C'est donc un notable du quartier qui est élu commandant du 85e bataillon. Il habite alors 93 rue de Rennes (il résidera plus tard 17 quai Voltaire, où il meurt en 1906). Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur fin janvier 1871, juste après la fin du siège de Paris, puis officier en 1880 et reçoit la cravate de commandeur en 1889. Son nom a été donné à une petite rue reliant l'avenue de Ségur à l'avenue Lowendal, dans le 7e arrondissement, à l'emplacement d'un ancien dépôt de la Compagnie générale des Voitures à Paris. Nous le retrouverons bientôt élu conseiller municipal de l'arrondissement.

 

Les militants

C'est un fervent républicain d'origine modeste qui est nommé à la tête de la 85e compagnie. Fils d'un cordonnier ancien soldat de Waterloo, Jean-Claude Colfavru naît à Lyon en 1820. Après des études de droit, le voici avocat à Paris. Il participe du côté des insurgés aux émeutes sanglantes de juin 1848. Il dirige La Voix du Peuple, journal d'inspiration proudhonnienne. Il est élu député en 1850, année où il adhère à la franc-maçonnerie. Il doit s'exiler après le coup d'État du 2 décembre 1851, mais, contrairement à Hugo qu'il côtoie à Jersey, il profite de la loi d'amnistie de 1859 pour rentrer à Paris, y reprenant son métier d'avocat, puis devenant juge de paix entre 1870 et 1872. Nous le retrouverons à plusieurs reprises dans la suite de ce récit, où nous le verrons tragiquement écartelé entre ses convictions républicaines et son souci de l'ordre, notamment sous la Commune.

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La famille Colfravu, photographie anonyme. Parismuséescollections

 

Plus ferme dans ses opinions, Edmond-Alfred Goupil, né en 1838, fils d'un hôtelier mayennais, suit des études de médecine et se spécialise dans l'urologie. Avec un ami pharmacien il monte un laboratoire d'analyses médicales et à partir de 1861 publie avec lui une revue spécialisée, L'Uroscopie. Attentif au sort des plus pauvres, il ouvre des consultations gratuites. Franc-maçon, il dirige la loge de rite écossais L'Alliance fraternelle. À la chute de l'Empire il est membre du Comité républicain du 6e arrondissement. Son élection à la tête de la 115e compagnie ne doit donc rien au hasard. Il est appelé à jouer un rôle de premier plan dans les événements qui vont ponctuer la vie politique pendant le siège de Paris puis sous la Commune et nous allons le croiser souvent dans les épisodes à venir de cette chronique. Il demeure alors 63 rue de Vaugirard.

 

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Edmond-Alfred Goupil. Photographie Appert, Parismuséescollections

 

On ne sera pas étonné non plus de voir le relieur Eugène Varlin élu de son côté à la tête de la 193e compagnie. Nous le retrouverons lui aussi en première ligne des événements qui vont scander l'automne, l'hiver et le printemps. Mais, moins chanceux que Goupil, il ne survécut pas à la Commune.

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Portrait de Varlin par Armand Désiré Gautier. Image Parismuséescollection.

 

Dernière des huit compagnies du 6e arrondissement, la 249e n'est pas armée et constitue une force de réserve. Elle est commandée par un certain de Strada, 61 rue du Cherche-Midi, que nous n'avons pas réussi à identifier de façon certaine. Il pourrait s'agir de Ferdinand de Strada d'Arosberg né à Paris en 1842, descendant d'une vieille famille du Bourbonnais, employé au Crédit foncier de France, puis inspecteur à la Compagnie générale transatlantique. En 1863, il est militaire, sergent-fourrier du 79e de ligne alors en garnison à Thonon. Ses origines aristocratiques peuvent avoir justifié son élection à la tête d'une compagnie non combattante, en dépit d'un modeste début de carrière dans l'armée. Mais ce pourrait tout aussi être Gabriel-Jules Delarue, dit José de Strada, pseudonyme sous lequel, personnage aux multiples talents né à Niort en 1821, il se fit connaître comme avocat, hommes de lettres, philosophe et peintre. Sa notoriété, acquise pour l'essentiel dans les années 1860, justifierait son élection à la tête de cette compagnie, mais son lien avec le 6e arrondissement n'est pas avéré.

Telles sont, rapidement brossées, les silhouettes de huit personnalités qui, aux côtés de bien d'autres, vont jouer un rôle appréciable dans la résistance à l'ennemi.

On l'aura compris, les ressources matérielles et humaines dont dispose le général Trochu pour faire face à l'envahisseur prussien sont loin d'être négligeables. Bismarck d'ailleurs ne s'y est pas trompé et se garde bien de s'y frotter directement. Il use d'une arme autrement redoutable, vieille comme le monde et qui de tout temps a fait la preuve de son efficacité : la faim. Le siège de Paris peut commencer.

 

(À suivre)

Jean-Pierre Duquesne

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