HISTOIRE DU 6e ARRONDISSEMENT DE PARIS
Jean-Marc LERI, texte écrit en 1976.
DES ORIGINES AU XIIe SIECLE
Les limites et les divisions du 6e arrondissement sont dues a un décret de 1859, qui modifiait les circonscriptions établies en l'an IV. En fait, toutes ces divisions sont purement administratives et le 6e arrondissement trouve ses origines en deux points qui, peu à peu, se sont rapprochés pour se rejoindre.
Sous la domination romaine, après la conquête de Lutèce par Labienus, lieutenant de César, la ville se développa avec vigueur le long de la voie qui menait de la cité des Parisii à Sèvres. Les fouilles menées dans le jardin du Luxembourg, au XIXe siècle et ces dernières années, ont mis en valeur l’extension de cette partie de la ville romaine.
Les grandes invasions du IIIe siècle détruisirent les édictes élevés par les Romains, et les belles « villae » gallo-romaines furent remplacées par des vignes, alors que les monuments servaient de carrières aux habitants qui s’étaient réfugiés dans la Cité qu'ils avaient bordée de remparts.
La conversion de la dynastie mérovingienne au christianisme entraina la formation du deuxième noyau urbain. En 543, en effet, Childebert (51l - 558), fils de Clovis, fonda, à l’ouest de la Cité, un monastère qu’il plaça sous le double vocable de Sainte-Croix et de Saint-Vincent. L'abbaye fut richement dotée et le roi lui concéda toute la rive gauche de la Seine depuis les Thermes jusqu'a Grenelle. D’autre part, le roi en fit le lieu de sa sépulture, suivi, en cela, par un bon nombre de souverains mérovingiens. La basilique en reçut un éclat particulier qui s’accentua encore, lorsque les reliques de Germain, évêque de Paris, y furent déposées en 576. La réputation de sainteté de l’évêque et les miracles qui s’opérèrent sur sa sépulture, firent de l’abbaye un lieu de pèlerinage pour toute la chrétienté. Le polyptique d’Irminon, dressé au début du IXe siècle, nous offre un témoignage de l’incroyable richesse territoriale de l’abbaye appelée alors Saint-Germain-des-Prés.
Si, au XIe siècle, l’espace compris entre la Cité et l’abbaye n’était formé que de prairies et de vignobles, au XIIe siècle, en revanche, un véritable bourg entoura le monastère, et se développa le long du chemin de Sèvres. C’est vers 1175 qu'apparait le premier document mentionnant l’existence d'une foire annuelle près des murs de l’abbaye. Cette foire est en quelque sorte le symbole du renouveau économique et de la réunion de la Cité et du bourg de Saint-Germain-des-Prés.
DE PHILIPPE AUGUSTE AUX DERNIERS VALOIS
La fin du XIIe siècle, Philippe Auguste fit border la partie méridionale de la ville par une muraille dont divers fragments subsistent encore dans la rue Dauphine et le passage du Commerce.
Ce mur suivait à peu près le tracé des rues Mazarine et Monsieur-le-Prince et s'ouvrait sur la partie occidentale de Paris par trois portes : la porte Saint-Germain, ou de Bucy, s'ouvrait à l`extrémité de la rue Saint-André-des-Arts ; la porte des Cordeliers se trouvait à l'angle des rues Dupuytren et Monsieur-le-Prince, et la porte d'Enfer était située au bout de la rue de la Harpe, à l'emplacement de l'actuelle place Edmond-Rostand.
La construction de ce mur divisa la censive de Saint-Germain-des-Prés en deux. C’était jusqu'alors l'église paroissiale de Saint-Sulpice, propriété de l'abbaye, qui desservait les habitants du bourg, et, pour éviter que les habitants, isolés par le mur, ne se rendent à Saint-Séverin, l'abbé fit construire pour eux, après 1211, deux nouvelles églises : l'une, placée sous le vocable de Saint André, et située non loin du pont Saint-Michel, l’autre bâtie au croisement actuel du boulevard Saint-Michel et de la rue de l`Ecole-de-Médecine, et placée sous les vocables de saint Côme et de saint Damien.
Entre-temps, l`Université ne cessait de s'étendre depuis la censive de Sainte-Geneviève jusqu’à celle de Saint-Germain, et déjà, en 1162 et 1192, les écoliers se plaignaient au pape d'avoir été maltraités dans les prairies voisines de l`abbaye.
En 1280, Raoul d'Harcourt, chanoine de Notre-Dame, créait pour les étudiants originaires de Normandie un collège qu'il plaça rue de la Harpe. Tout auprès, Jean de Justice, autre chanoine de Notre-Dame, fonda un second collège qui, joint au premier, fut le noyau du futur lycée Saint-Louis.
Tout au long du XIVe siècle apparurent d'autres établissements de même ordre : le collège d`Autun, rue Saint-André-des-Arts, le collège de Bourgogne, rue des Cordeliers, le collège Mignon, dans la rue qui porte son nom, le collège de Boissy, rue Suger, et le collège de Dainville, rue Pierre-Sarrazin.
La mainmise de l`Université sur la partie du bourg enclavée dans le mur de Philippe Auguste fut complète lorsque l'abbé de Saint-Germain dut, en 1343, abandonner ses droits sur les églises Saint-Côme et Saint-André, qui revinrent aux universitaires.La vie monastique prit, au XIIIe siècle, un essor considérable. Dès 1250, les Cordeliers s'établirent près de l`église Saint-Côme. En 1257, les Chartreux sont installés dans le château de Vauvert, près de la porte d`Enfer, et font construire de vastes bâtiments qui couvraient toute la partie nord du jardin du Luxembourg. En 1295, ce sont les Augustins qui s'installent dans la maison cédée en 1261 par saint Louis aux Sachets.
L'abbaye de Saint-Germain-des-Prés fut reconstruite pendant le règne du saint roi et l'architecte Pierre de Montereau, ou de Montreuil, éleva le réfectoire et une grande chapelle en l`honneur de la Vierge, dans laquelle il fut inhumé en 1266.
Le début du XIVe siècle fut une période de prospérité pour les grands féodaux et l’on vit s'élever dans Paris de fastueux hôtels. Le plus célèbre est sans doute l'hôtel de Nesle, élevé près des remparts par Philippe Hamelin, seigneur de Nesle. Cet hôtel couvrait à peu près l'espace de l'actuel hôtel des Monnaies. Racheté en 1503 par le roi, l'hôtel fut bordé, en 1513, d'un quai, pour éviter les inondations. Ce quai, le premier de Paris, prit, plus tard, le nom des Grands-Augustins. L'hôtel devint, au cours du XIVe siècle, le théâtre des amours adultères des princesses Marguerite et Blanche de Bourgogne et, de là, naquit la ténébreuse légende de la tour de Nesle.
Tout au long du XIIIe siècle, la partie de la censive de Saint-Germain-des-Prés incluse dans les murailles se bâtit avec vigueur, et peu à peu, les environs de l'abbaye, à leur tour, furent bâtis de maisons. A la fin du XIIIe siècle, les rues du Vieux-Colombier et des Saints-Pères formaient la limite occidentale de la zone bâtie.
Cette extension fut freinée par la crise économique et sociale de la fin du XIVe siècle, et la guerre de Cent Ans qui s`ensuivit.
Pendant l'occupation anglaise, le mur d'enceinte de Philippe Auguste fut réparé et l’abbaye fut entourée de murailles et de fossés. A la fin du XIVe siècle, la Cité et la rive gauche furent mises en communication par le pont Saint-Michel, qui joignit le Palais de justice et la rue de la Harpe. Cette voie nouvelle contribua au développement économique de la partie occidentale de la rive gauche.
Ce développement s'accentua à la fin du XVe siècle, avec le retour de la paix. Le sage roi Louis XI y aida, en rétablissant, en 1476, la foire Saint-Germain dont le succès fut tel qu'il fallut, au début du XVIe siècle, bâtir une vaste halle à deux combles, qui, pendant plus de deux cents ans, suscita l'admiration de tous les architectes par la légèreté de sa construction. Elle disparut, malheureusement, dans l`incendie qui ravagea la foire en 1762.
Avec la prospérité du début du XVIe siècle, de grandes familles établirent leur demeure dans le voisinage de Saint-Germain-des-Prés : les ducs de Montpensier et de Luxembourg, la duchesse de Savoie s’y installèrent et attirèrent auprès d`eux une foule d`artistes et d'hommes de lettres qui apportèrent, en ces lieux, un bouillonnement d'idées nouvelles.
C’est ainsi que Guillaume Briçonnet, abbé de Saint-Germain-des-Prés, devint un des principaux protecteurs de Lefèvre d`Etaples. Dans le même temps, eut lieu la manifestation des protestants dans le Pré-aux-Clercs, à laquelle prit part Jacqueline de Chatillon, sœur de l`amiral de Coligny, et qui fut un des points de départ des guerres de religion. La rue des Marais (actuelle rue Visconti) fut nommée la « petite Genève » et c'est dans la maison du sieur de la Ferrière que fut élu le premier pasteur ainsi que les premiers membres du Consistoire de l'Eglise réformée.
Durant les guerres de religion, le quartier eut beaucoup à souffrir des combats ; l'abbaye, dirigée par le cardinal de Bourbon, chef de la Ligue, fut prise deux fois par Henri de Navarre - le futur Henri IV - et pillée, mais le roi de la Ligue trouva, en 1586, les moyens de faire commencer les travaux de construction du palais abbatial, qui est, un peu, le premier des bâtiments modernes du bourg de Saint-Germain-des-Prés.
LE SIÈCLE D'OR
Avec le XVIIe siècle, commence la période des grandes réalisations urbaines et monumentales.
L'achèvement du Pont-Neuf, qui apportait une voie de communication importante entre les deux rives de la Seine, permit l`ouverture de la rue Dauphine sur les terrains des Grands-Augustins et le lotissement du quartier compris entre cette rue et le mur de Philippe Auguste.
Le Palais de la reine Margot (reconstitution A. Berty d’après le plan Mérian), doc. Sh6
Au-delà du mur, là où la reine Margot avait bâti son éphémère palais, un groupe de financiers se partage les terrains et après avoir fait percer le quai Malaquais, ils le firent border d'hôtels splendides et reliés au palais des Tuileries par le pont Royal. Toutes ces constructions attirèrent, bien évidemment, une foule de gens qui s'établirent dans la censive de Saint-Germain-des-Prés.
Plus au nord, c`est à la reine Marie de Médicis que nous devons l'un des plus beaux palais de Paris, le Luxembourg. Après la mort d'Henri IV, la reine avait voulu se rapprocher de sa confidente Léonora Galigai, qui habitait rue de Tournon, et, pour ce faire, acheta l`hôtel du duc de Luxembourg dont le jardin bordait le couvent des Chartreux. En véritable héritière des Médicis, elle fit dresser par l’architecte Salomon de Brosse, un palais à l'italienne dont les galeries furent ornées de peintures de Rubens, rappelant les principales scènes de la vie de la reine. Marie de Médicis devait peu séjourner au Luxembourg ; installée dans sa demeure en 1625, elle dut la quitter après la « journée des Dupes », cinq ans plus tard, pour ne plus jamais y revenir.
Autre fleuron du quartier, l'église Saint-Sulpice : la vieille église était devenue insuffisante en raison de l'accroissement des fidèles. C’est l'architecte Daniel Gittard qui, en 1645, commença les travaux qui s'arrêtèrent, faute de crédits, en 1675, à la hauteur de la nef. Dès le début de Ce siècle de ferveur religieuse, les deux reines, Margot et Marie de Médicis, avaient attiré auprès d`elles les congrégations religieuses. Alors que la première installait les Petits-Augustins sur le quai Malaquais, la seconde logeait près du Petit Luxembourg, les Filles du Calvaire. En même temps, les jésuites faisaient bâtir leur noviciat près de l'église Saint-Sulpice et les Carmes s`installaient rue de Vaugirard.
Tout comme Richelieu avait fait élever la chapelle de la Sorbonne, Mazarin créa le collège des Quatre-Nations dans lequel devaient être élevés et instruits gratuitement « les jeunes gentilshommes originaires des pays cédés à la couronne par les traités de Münster et des Pyrénées ». L'emplacement choisi fut celui de l`ancien hôtel de Nesle dont ne subsistait que la tour, et l’architecte Louis Le Vau dressa avec une remarquable adresse un bâtiment demi-circulaire fermé à ses extrémités par deux pavillons qui coupaient avec élégance la courbe de l'ensemble. La chapelle fut ornée du mausolée de Mazarin sculpté par Coysevox, et l'aile orientale fut aménagée en bibliothèque pour recevoir la fabuleuse collection d`ouvrages formée par le cardinal. Mazarin ayant demandé, par testament, que la bibliothèque fut ouverte deux fois par semaine au public, il en fit la première bibliothèque publique de Paris.
Ainsi la vie religieuse et intellectuelle prit, au cours du XIIe siècle, une extension remarquable dans notre quartier joignant définitivement l'influence religieuse de l'abbaye de Saint-Germain à l`influence intellectuelle de l'Université. Et, en cela, le comblement, au milieu du siècle des fossés de Nesle par la construction du collège des Quatre-Nations, est symbolique de l`union entre les deux parties de l'actuel arrondissement, jusque-là coupé par les murailles des fortifications.
Si la ferveur religieuse a marqué le XVIIe siècle, comment oublier tous les plaisirs profanes qui marquèrent l'évolution sociale de la population parisienne. Et, au premier rang de ceux-ci, la foire Saint-Germain qui, en un temps ou le rythme de vie était essentiellement saisonnier, apportait une fois l`an son cortège de fêtes et de jeux divers.
C’est aussi dans l'actuel sixième arrondissement que fut, pour la première fois en France, joué un opéra-ballet : Pomone. dont le succès fut tel que Lulli s'empressa d`acquérir le privilège de jouer des opéras, à son tour. Il n'hésita pas, pour ce faire, à chasser, en 1673, la troupe de Molière dont l`illustre fondateur venait de mourir, de la salle du Palais-Royal. Ainsi chassée, la troupe élut domicile dans les murs de l'hôtel Guénégaud, où vint la rejoindre la troupe de l'hôtel de Bourgogne, en 1680. Jugés par la suite trop proches des étudiants du Collège des Quatre-Nations, les comédiens durent, en 1687, s'en aller dans la rue Neuve-des-Fossés-Saint-Germain (actuelle rue de l'Ancienne-Comédie), où ils restèrent pendant près d'un siècle. Tout près d'eux vint s'installer un café qui devint le rendez-vous de tous les littérateurs du temps : le café Procope qui continue à vivre en dépit des siècles.
Temps de piété, temps de plaisirs, temps des grandes œuvres, le XVIIe siècle a marqué d'une empreinte profonde notre quartier, qui conserve de cette époque les fleurons de ses monuments et de ses souvenirs.
DES PALAIS ROYAUX AUX BATIMENTS ADMINISTRATIFS
Le XVIIIe siècle marqua l'apogée de la richesse dans le premier état de la société: la noblesse. C’est pendant ce siècle que le bon goût trouva son point culminant et le « siècle de Louis XV » est aussi celui des plus jolis hôtels particuliers de notre quartier: I`hôtel de Rohan-Chabot, rue du Cherche-Midi, les hôtels d'Entragues et de Brancas, rue de Tournon, en sont de charmants exemples.
Mais cette richesse fit passer au second plan la ferveur religieuse et les travaux de construction de l`église Saint-Sulpice ne reprirent qu`avec lenteur. L'architecte Gilles-Marie Oppenord les poursuivit pendant plus de vingt années, mais laissa, en 1745, l’élévation de la façade à Servandoni qui adopta un projet fortement teinté d'italianisme qui ne reçut qu'un début d'exécution. Servandoni avait aussi projeté de former autour de l'église une vaste place bordée d'immeubles de même style ; mais un seul d'entre eux fut édifié près de la rue du Petit-Bourbon (actuelle rue Saint-Sulpice) et le projet de place fut abandonné faute de moyens financiers.
En I770, le roi acquit l’hôtel de la famille de Condé qui s'étendait entre la rue de Vaugirard, la rue Monsieur-le-Prince et la rue de Condé. Ces terrains furent l`objet d'une spéculation qui aboutit au lotissement de tout l'espace ci-dessus mentionné et à la construction d`un nouveau théâtre : celui de l`Odéon, qui, bâti sur les plans de Peyre et de Wailly ouvrit ses portes en 1782. Devant le péristyle dorique s'ouvrait une place semi-circulaire d’où partaient six rues disposées en éventail, donnant au lotissement un certain aspect artistique.
Plus au nord, dans le quartier de l`Université, la corporation des chirurgiens acquit, en 1769, les bâtiments de l'ancien collège du Bourgogne que devait remplacer une « académie royale de chirurgie ». Celle-ci fut bâtie sur les plans de l`architecte Gondouin qui fit preuve de grand talent: il aménagea un vaste amphithéâtre derrière un péristyle que l`on peut apercevoir à travers une élégante colonnade. Gondouin reliait, par une vaste place, les nouvelles constructions à celles qui étaient entrain sur les terrains de l'ancien hôtel de Condé. Faute de moyens, là, comme à Saint-Sulpice, rien ne put être réalisé.
Nous avons donc vu trois projets d'opérations d'urbanisme dont une seule a réussi: celle de l'Odéon. Mais il faut remarquer que la construction de l`hôtel des Monnaies tenait compte de l'ensemble architectural qui l'entourait. C’est donc un fait nouveau qui apparaît au XVIIIe siècle avec la politique d'urbanisme. Et il ne s'agit pas là seulement de constructions particulières comme cela avait été le cas pour la place Royale (des Vosges) ou la place Dauphine, mais de véritables aménagements urbains comprenant des bâtiments publics.
Cette vue nouvelle de la ville va donc avec un changement dans la mentalité des Parisiens. En effet, si pendant la première moitié du XIIIe siècle la foire Saint-Germain obtient encore du succès, le déclin s`accentue avec la fin du siècle. L'incendie qui ravage le vieux préau, en 1762, ne fait que précipiter une maladie latente. Il faut encore le succès de l`0péra-Comique qui fait ses débuts à la foire pour attirer les badauds, mais la foule des grands nobles reste à Versailles et les nouveaux riches, jaloux des fêtes de la cour auxquelles ils ne peuvent participer, et dédaigneux du petit peuple, font fi des foires pour se tourner vers des divertissements onéreux, ce qui explique la vogue des « Wauxhalls », lieux de fêtes qui eurent leurs succès et dont l'un fut bâti pendant quelque temps sur la foire Saint-Germain. Mais ce succès fut passager et avec le changement du mode de vie des Parisiens qui, de saisonnier qu`il était, devient quotidien, les foires disparurent toutes.
DU MASSACRE A L’AMÉNAGEMENT
La loi de 1792 sur les biens nationaux fut une cause de pertes irréparables pour l`art français et, plus que n`importe quel quartier, celui du Luxembourg eut à en souffrir car il comprenait des ouvrages remarquables. Saint-André-des-Arts fut abattu en 1800, suivi par le couvent des Chartreux sur lequel furent aménagées les rues de Fleurus et d'Assas, dont l'utilité était contestable, en un lieu où le taux de population était loin d'être élevé. Les Grands-Augustins firent place à la rue du Pont-de-Lodi. Des Cordeliers, il ne subsista que le réfectoire; le reste des admirables bâtiments du XIIIe siècle fut remplacé par la place de l'Ecole-de-Médecine. Les Bénédictines de Notre-Dame-de-Consolation furent chassées et leurs bâtiments détruits pour faire place à la rue d'Assas. Le séminaire de Saint-Sulpice disparut pour ouvrir une place qui ne fut dégagée que près de quarante ans plus tard. L`œuvre d'utilité publique qui devait résulter de toutes ces destructions ne fut réalisée qu'avec une lenteur qui contraste singulièrement avec l'empressement que l'on mit à détruire ce que le génie des siècles précédents avait laissé
Le régime impérial est, sur ce point, particulièrement coupable d'inertie. Le pont des Arts, vieille idée reprise de celle de l'architecte Le Vau, fut réalisé dans des dimensions très largement insuffisantes et si nous lui trouvons aujourd'hui un charme poétique, dû en grande partie à sa finesse, les contemporains de Napoléon et l'Empereur lui-même le trouvaient « mesquin » et tout à fait indigne du collège des Quatre-Nations dans lequel on venait d'installer l'Institut. La rue de Tournon fut prolongée jusqu'à la rue de Buci mais, là encore, avec des proportions indignes de celles que lui avaient donné les siècles passés. Le percement du début de la rue Racine, entre la place de l'Odéon et la rue Monsieur-le-Prince, achevait le projet de Peyre et de Wailly pour la place du Panthéon. Même si l`on considère que l`ouverture des rues de Fleurus et d'Assas furent des vues d'avenir, on peut, cependant, mettre en doute l'efficacité de la politique impériale si l’on ajoute qu`ayant décidé, en 1811, la construction du marché Saint-Germain, l'Etat n`avait pratiquement rien fait en 1815.
C’est donc Louis XVIII qui hérita du lourd fardeau de dettes laissées par l'Empire et qui, cependant, put mener à bien la construction du marché Saint-Germain. Ce magnifique bâtiment, œuvre d'art et d'utilité publique, fit disparaître l'infect cloaque qu`était devenu le sol de l'ancienne foire Saint-Germain. Tout autour du marché, on construisit de vastes et beaux immeubles, seuls témoins pratiquement intacts de la principale œuvre d’urbanisme de la Restauration sur cette partie de la capitale. D'autre part, Louis XVIII prit soin de remettre les œuvres d`art, amassées par Lenoir dans son Musée des monuments français, qu'il avait installé dans les bâtiments des Petits-Augustins, aux endroits où elles se trouvaient avant la Révolution. L`ancien couvent, ainsi libéré, devint l'Ecole des beaux-arts, mais son aménagement ne fut commencé que peu de temps avant la révolution de 1850. Seule, la petite rue des Beaux-arts fut ouverte afin de donner un passage sur la rue de Seine.
La monarchie de juillet fut plus fertile en réalisations. L'architecte Duban se vit confier la construction de l'Ecole des beaux-arts, tâche qu'il accomplit avec un goût et une discrétion qui font encore l'admiration. Les cours et les jardins furent décorés des restes de ce que le vandalisme abattait sans vergogne à Paris et en province : la tour de l'hôtel La Trémoïlle, la splendide arcade de l'hôtel de Torpane, le portique du château d'Anet survivent dans les jardins, témoins impuissants du saccage des siècles passés. Dans la rue Racine que l'on acheva en 1840, l'architecte Constant-Dufeux éleva le portail de l'Ecole des arts décoratifs et, plus au sud, l'ancien hôtel de Vendôme fut doublé d`un nouveau bâtiment qui devait abriter l'Ecole des mines. Le palais du Luxembourg, siège des grands procès politiques du régime, fut agrandi par 1'architecte Alphonse de Gisors qui, sans faire œuvre créatrice, se plia au modèle de Salomon de Brosse et ajouta les deux ailes méridionales qui reproduisent, avec peu de modifications, l'ancienne façade. C’est le même architecte qui dressa les plans de l`orangerie du Luxembourg qui devint, par la suite, le musée bien connu. Le grand séminaire de Saint-Sulpice, commencé par Godde sous la restauration, fut achevé et dressa sa longue façade un peu triste en face de la curieuse fontaine élevée par Visconti, d’après celle des Innocents. Ce fut vers 1847 que l'on se préoccupa d'achever la place Saint-Sulpice, en y élevant la nouvelle mairie. Les travaux de dégagement étaient terminés et les fondations commencées, lorsque éclata la Révolution de 1848.
Un grand nombre de bâtiments administratifs et scolaires, nous dirons d`utilité publique, ont été commencés ou achevés entre 1815 et 1848, mais, pas plus que les régimes précédents, la monarchie de Juillet n'osa ouvrir les grandes percées dont la rive gauche de la Seine avait grand besoin. Seule, la rue Bonaparte, ouverte entre 1835 et 1844, forma, à une petite échelle, la première des grandes percées du XIXe siècle.
LE « SIXIÈME ARRONDISSEMENT »
C’est d`ailleurs à la troisième République que l`on doit la part la plus importante des travaux effectués sur le sixième arrondissement. L`achèvement du boulevard Saint-Germain permit la construction de la nouvelle façade de l`Ecole de médecine, tandis que le percement du boulevard Raspail, qui se poursuivit jusqu'en 1910, ouvrit le quartier du Montparnasse vers la Seine. Quant au projet de percement de la rue de Rennes jusqu'à la Seine, il resta, fort heureusement, dans les tiroirs des administrateurs, et il nous faut souhaiter qu'il y reste, car il détruirait un des plus jolis quartiers de Paris.
Le sixième arrondissement est, sans doute, un des plus beaux de Paris ; il faut donc, plus que les autres le respecter, et montrer autant d’habileté que ceux qui nous ont précédés en ont mis à le rendre aussi beau.
Jean-Marc LERI, texte écrit en 1976.